Portrait de Rimbaud

(Avec l'autorisation du Musée Rimbaud de Charleville-Mézières)

Maurice Blanchot, « L’œuvre finale », dans L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, pp. 422-423.

« Les rapports des Illuminations et de la Saison sont difficiles, c’est l’évidence : non pas pour des raisons anecdotiques ou sottement mythiques, mais parce que ces deux ouvrages (appelons-les ainsi, puisqu’ils sont des volumes ordinaires dans nos bibliothèques) ne sont pas rédigés par la même main ni au même niveau de l’expérience. D’un coté, la Saison dit tout : c’est en ce sens qu’elle est écrite tout à la fin, à une réserve près ; et, dans cette vue dernière, le poète des Illuminations, comme l’entreprise qu’il a tentée en les écrivant, trouvent place et s’affirment nécessairement au passé. La plupart des traits dont il se sert là pour définir sa tentative (je les rappelle grossièrement : les pouvoirs surnaturels, l’ambition d’atteindre le tout et d’abord le tout de l’homme, le pouvoir de vivre une pluralité de vies, le dévoilement des mystères, l’approche et la description de tous les paysages possibles, l’étude, la puissance du rythme, l’usage des hallucinations et du poison), toute cette histoire de son esprit, toute cette expérience telle qu’il la décrit comme vaine, fait précisément allusion aux desseins mis en œuvre dans les fragments en prose et y fait allusion comme à quelque chose qui a déjà eu lieu et qu’il tient pour révolu.

De là, il me semble, l’assurance avec laquelle les commentateurs ont affirmé l’antériorité des Illuminations, non pas nécessairement par amour du mythe, mais parce qu’il parait difficile de situer après la Saison la composition d’une œuvre dont celle-ci fait l’examen et qu’elle rejette dans le passé.

Je pense qu’il faut tenir compte de cette vérité. Même rédigés par la suite, les poèmes en prose appartiennent à un temps « antérieur », ce temps particulier de l’art, avec lequel veut précisément en finir celui qui écrit : « Plus de mots », être prophétique, cherchant par tous moyens un avenir et le cherchant à partir de la fin déjà survenue. En d’autres termes, l’ « Adieu » tient pour accomplies (et terminées) les possibilités qui sont celles de l’art en général, celles que mettront ou qu’ont mises en œuvre les Illuminations. La question qui se trouve posée est à peu près celle-ci : à cet instant où la poésie prend fin et la littérature s’achève − l’une et l’autre n’étant pas simplement une activité simplement esthétique, mais représentant la décision d’étendre à l’extrême limite le pouvoir de l’homme en le libérant d’abord de la division de la morale et en lui rendant un rapport de maîtrise avec les forces premières −, à cet instant où il lui faut congédier la poésie comme avenir, avenir qui est le « dégagement », le déploiement de toutes les possibilités humaines par la poésie, que lui reste-t-il, quelle sera l’issue ? La Saison est la recherche d’une réponse, laquelle, on le sait, est d’une étonnante, d’une énigmatique fermeté. »