Milena Agus - La Contessa di ricotta

La Contessa di ricotta, l’ho finito ieri. In italiano, così che non so quale sarà il titolo francese.

- Se mi è piaciuto ? Certo ! ma perchè, è più difficile dirlo.

Bon, j’arrête les langues forestières. J’ai donc lu le dernier mince roman de Milena Agus (une « novella », à l’anglaise ?), La Contessa di ricotta, en italien. Je me l’étais en quelque sorte fait livrer par une amie.  Or quand je lis un roman dans une langue étrangère (l’anglais ou l’italien en fait), je suis si fière d’avoir mené à bien l’entreprise que le plaisir d’avoir « déchiffré le texte » déborde parfois le texte lui-même, et que je suis en peine de dire ce que j’en ai vraiment aimé, ou non.

A Castello, le vieux quartier de Cagliari, trois sœurs occupent les restes d’un palais dont la splendeur s’est écaillée de façade en façade, au fil des déroutes familiales ; des trois façades de leur palais d’angle, il leur en reste deux, et des dix appartements, seulement trois, un pour chacune des sœurs, l’une au rez-de-chaussée, l’une à l’étage noble, la dernière au troisième, le reste est vendu, et Noémi rêve de pouvoir le racheter, pour restaurer le prestige perdu.

Au rez-de-chaussée, la Comtesse de ricottacontessa de arrescottu, en sarde -, je ne sais comment on la traduira, ainsi nommée (et c’est sa seule identité) parce qu’elle est maladroite, qu’elle n’a ni allure ni assurance, et que tout lui tombe des mains, mani di ricotta... un cœur trop sensible, aussi, qui lui fait offrir son aide – pas toujours désirée – à tous les malheureux qu’elle croise. Elle a un fils, Carlino, bambin bancal, fugueur, que tout le monde prend pour un idiot avec ses lunettes en masque de plongée, et dont tout le monde, en particulier les autres enfants, rejette les tentatives d’approche. 

A l’étage noble, la sœur cadette Maddalena, somptueuse pin up aux dessous affriolants et aux seins adorables, qui partage avec son mari Salvatore des jeux amoureux excentriques – mais très classiquement agusséens, si l’on m’autorise ce néologisme – sans que jamais, malgré leur ardent désir, il en naisse un enfant. C’est Míccriu, leur chat intelligent, mais incapable d’attraper les souris, qui en tient lieu. Enfin au troisième, sous le fronton, Noémi, la sœur aînée, raisonneuse, autoritaire – elle est magistrate –, une belle femme, mais vieille fille, zitella. Elle seule a du monde une « vision systémique » - « connexion d’éléments en un tout organique », comme l’a révélé à la contessa di ricotta le dictionnaire - et c’est elle qui  veille sur le sort de ses sœurs et du patrimoine – meubles, vaisselle -, tout comme elle s’assure de pouvoir entretenir tout son monde et surtout de restaurer et de reconquérir le palais, à moindres frais, si possible. Le loup va ainsi s’insinuer dans la bergerie, en la personne d’Elias, berger de l’intérieur des terres, maçon talentueux lecteur de Shakespeare et collectionneur de précieuses porcelaines anciennes. C’est le neveu de la tata, la vieille gouvernante qui les a élevées, et que la comtesse a recueillie chez elle. Elias a les traits fins, « le teint clair, des mains fuselées de pianiste, quoique calleuses, et le regard plein de joie de vivre, sans ombres ». Des mains d’or, et un regard de connaisseur. Sous l’œil attentif des deux sœurs, entre Cagliari, ses venelles et ses échappées toujours nouvelles sur la splendeur miroitante de la mer et du ciel, et le village où Elias occupe, dans la maison familiale tout en hauteur, le troisième étage ouvert sur le ciel et les montagnes, la romance d’Elias et Noémi se noue et se dénoue, car qui comprend les ressorts secrets des êtres ?

Il y a encore le voisin grognon et sarcastique, son jardin envahi de mauvaises herbes depuis que sa compagne violoniste l’a quitté, son attention à Carlino, dont il a su reconnaître sous l’idiotie apparente l’intelligence et la sensibilité de pianiste, ses cadeaux : le casque de scooter, pour le protéger des chutes de pierres du palais, les balades à vespa dans le quartier, ou des poissons tout frais pêchés. Mais qui saura si la comtesse lui plaît, si une histoire peut se tisser entre eux, malgré la compagne violoniste disparue et l’alliance qui va et vient à son doigt, qui peut savoir interpréter les signes, et peut-on faire confiance à la gitane Angelica qui a prédit que la comtesse volerait ? Car le voisin ne se borne pas à piloter sa vespa dans les ruelles de Castello, ou un bateau de pêche, il pilote aussi des avions (des planeurs, je pense), jusqu’en Corse, et il a proposé à la comtesse de l’emmener, et de lui apprendre...

Il serait bon que je m’arrête là. Le bouquin est sans doute déjà plus qu’à moitié traduit, je le verrai bien publié en janvier, comme Mal de pierres, il y a presque quatre ans. Je ne vais pas tout vous raconter, ce serait dommage, et tellement contraire à mes principes de passeuse ! (passerelle ?)

Les lecteurs familiers de Milena Agus auront reconnu des thèmes traités de roman en roman : l’inadaptation au monde, la maladresse, les gens bancals – auxquels il faut ajouter le désir de suicide, très présent ici aussi -, les secrets de famille, la sexualité fantasque (je me demande si ça ne fait pas un peu redite, au fil des bouquins, si ça ne perd pas de son charme excentrique), le désir d’enfant, la beauté chatoyante du monde, la quête du bonheur ... Le « roman » est construit en fragments éclatants ou sombres, comme les tessons brisés d’une tasse précieuse, ou ceux de la vaisselle sacrifiée d’Élias. Comme les gâteaux colorés épars sur les marches après la chute de la tata, ou les lambeaux d’un paysage saisi du haut d’un avion, ou le manteau d’Arlequin d’une carte géographique, seul moyen, en somme, de trouver une « vision systémique du monde », fût-elle, comme le suggèrent les remerciements en fin de livre, (accompagnés d’une photo, pas terrible, en noir et blanc, assez floue, des précieuses porcelaines de collection), fût-elle, donc, alternative. Je ne raffole pas des illustrations de couverture, chez Nottetempo, l’éditrice italienne de Milena Agus, trop blanche, ici, la tasse de porcelaine renversée... mais il faut dire que ce petit livre, baladé par pluies torrentielles dans un sac à dos pas très étanche, a résisté merveilleusement aux avanies : couverture souple, papier fin et crémeux, un objet parfait pour lecture tous temps et tous terrains.

Si le livre m’a plu ? On dirait, non ? après une telle tartine !

Et voici (joviaux, mais on a vu plus distingués, certes !) Les Mangeurs de Ricotta de Vincenzo Campi (1580), tels que je les croisai justement la semaine dernière, au Musée des Beaux Arts de Lyon (magnifique musée, au passage), amusante coïncidence.

 

Commentaires

1. Le mercredi, février 15 2012, 22:47 par Anis

Le livre est bientôt traduit en français. J'ai mis un lien vers ton article car tu livres des informations capitales sur ce roman. Merci beaucoup pour ce partage.

2. Le mercredi, février 15 2012, 22:56 par Agnès

Merci ! Je vais aller y voir. Je me demande pourquoi ce livre a mis tant de temps à être traduit!!!

Agnès

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