Mary Webb - Sept pour un secret

Les flâneries sur la toile sont pleines de surprises. J’ai cédé, je l’avoue, aux sirènes de la tentation, et suis allée me coucher hier avec un autre Mary Webb, Sept pour un secret. Roman séduisant, comme l’est le personnage de Robert Rideout, le berger-vacher (sheep-and-cow-boy ? comment peut-on dire cela en anglais ?) habité par le souffle de la création poétique, et auteur de ''pennillions'', poèmes gallois de tradition orale, et autres chansons rustiques dans lesquelles il célèbre solitairement la figure traîtresse de sa capricieuse bien-aimée Gillian Lovekin. Séduisant, captivant même, mais foutrement mal fichu, et même carrément bâclé à la fin, comme ne manque pas de le signaler la romancière elle-même dans le dernier chapitre : « Arrivé ici, le lecteur doit s’indigner. Quelle est l’explication du titre ? Pourquoi tout s’en va-t-il en morceaux comme cela ? Pourquoi Robert et Gillian sont-ils seuls dans le cottage de Robert, à sept heures et demie du matin ? Qu’est-il advenu de Johnson, de Fringal et d’Elmer ? Personne ne s’est-il aperçu de l’absence de Ruth ? Que fait la police ?
- cette dernière question m’a fait pouffer - . (…) Mais les choses se passèrent presque comme elles doivent le faire dans un roman bien composé. »
Tout est dans le « presque » en effet, parce que si cette fin n’est pas expédiée, au détriment du destin des personnages justement évoqués dans les questions prêtées au lecteur, et de tout ce que laissait attendre la construction antérieure du roman, je veux bien manger mon chapeau. Avec tout le respect que j’ai pour elle, Mary Webb semble là s’être carrément débarrassée de la plupart de ses personnages, pour ménager à l’arrache une fin heureuse qui aurait nécessité à mon avis quelques dizaines de pages supplémentaires. Roman séduisant donc, mais, sachez-le, raté quand même, et qui ne donne nullement le sentiment de plénitude que donne la lecture de Sarn. Il est dédié à Thomas Hardy, autre grand romancier de l’Angleterre ancestrale et rurale, pleine d’âpreté, de douleurs, de bible et de légendes, dont il faudra bien un jour que je chronique ici, sous la rubrique « Pavés » « Jude l’Obscur », ce sombre récit d’amour et de souffrance dont on retrouve quelques échos dans l’intrigue de Sept pour un secret.

Mais les surprises de la toile ? eh bien, cherchant quelques informations sur l’autrice en tapant « Seven for a secret », je suis tombée sur … Enid Blyton, car tel est en anglais le nom de son Clan des sept ! (le titre fait référence à une comptine, que voici :

I saw seven magpies on a tree
One for you and six for me
One for sorrow,
two for joy,
three for a girl,
four for a boy,
five for silver,
six for gold,
seven for a secret
never to be told...

j’ai vu sept pies sur un arbre / une pour vous et six pour moi / une pour la douleur / deux pour la joie / trois pour une fille / quatre pour un garçon / cinq pour de l’argent /six pour de l’or / sept pour un secret / qui n’a jamais été révélé

(ou plutôt qu’on ne doit jamais révéler, je cite la traduction de Maurice Rémon pour mon édition du roman de MW).

La comptine est citée en épigraphe du roman de Mary Webb. Amusante rencontre, qui donne tout à coup plus de profondeur à cette lecture d’enfance - qui d’ailleurs ne fut guère la mienne que par défaut, j’avais commencé direct par les Alice.
J’ai trouvé aussi d’autres romans portant en anglais le même titre (c’est possible, ça ???).
Et enfin, trouvaille non moins précieuse, j’ai appris que Claude Santelli, dont j’adorais les « Ami Maupassant » désormais introuvables, avait donné en 1968 ( !) un Sarn - avec entre autres Raymone (la compagne de Cendrars) - disponible en téléchargement pour 6 euros sur le site de l’INA. Bien d’autres précieux sortilèges donc autour de Mary Webb, dont j’ai trouvé aussi, dans un intéressant article que je ne vous conseille de lire qu’après le roman, l’origine de son titre : C’est dans le Paradise Lost de John Milton (1764) :

Let none admire
That riches grow in hell
That soil may best
Deserve the precious bane. (I, 690, 692)

Ce que traduisent ainsi :
L’abbé Delille :

Qu’on ne s’étonne point que l’enfer cache l’or /À quel sol convient mieux ce funeste trésor.

Et Chateaubriand :

Personne ne doit s'étonner si les richesses croissent dans l'Enfer : ce sol est le plus convenable au précieux poison.

À suivre, il me reste à relire La Renarde, roman cruel dont j’ai gardé un assez vif souvenir.

L’article évoqué est de Virginie Belser : Mary Webb : L’écriture contre la malédiction dans Precious Bane (Sources No 18, printemps 2005)

Commentaires

1. Le samedi, octobre 31 2009, 09:09 par Nathalie

Ouaooh! Quelle érudition! Peut-être lirai-je un jour Mary Webb dont je n'avais jamais entendu parler à ce jour. Ce mail est pour te dire que j'ai déniché chez Emmaus Le maître des illusions de Donna Tartt dont tu m'avais parlé il y a plus de 15 ans. Mes vacances sont papivoraces.
Bonnes vacances à toi, le nez dans un bouquin.
Nathalie

2. Le samedi, octobre 31 2009, 15:57 par Agnès

Euhhhh, Nathalie, ce n'était PAS moi... car je n'ai pas lu "Le Maître des Illusions", dont le titre m'est familier, dont on m'a AUSSI parlé, mais là se borne toute ma science sur ce bouquin. Qu'à cela ne tienne, je me réjouis que le bouquin t'ait embarquée pour les vacances !
Oui, va rendre visite à "Sarn", c'est un livre envoûtant.
yours,
A.

3. Le dimanche, janvier 24 2010, 02:27 par MilliePoppins

J'avais adoré Sarn, dans mon adolescence. Mais j'aime encore plus La Renarde, qui est complètement envoûtant, fascinant, plein de forêts et de fureur, de terriers et de terreur, de cruauté, oui, et de folie.
Dans les années 50, il y a eu un film magique, dans un technicolor époustouflant, avec Jennifer Jones en amie des renards. Poignant.

4. Le dimanche, janvier 24 2010, 16:13 par Agnès

merci pour votre enthousiasme et pour le tuyau. Après "Sarn", que je ne suis pas allée voir encore, je jetterai donc un oeil - quand j'aurai relu "la Renarde" - sur le film. Ah ! Jennifer Jones dans "Ruby Gentry" et dans "Duel au soleil" ! La Renarde c'est Michael Powell, vient de m'apprendre wikipedia, et du coup je découvre by the way
a) que Jennifer Jones vient juste de mourir, à 90 ans, le 17 décembre,
b) et qu'elle a interprété Mme Bovary pour Vincente Minelli.
Que de découvertes en perspective !

5. Le lundi, août 5 2013, 00:43 par Anne d'Evry

Il y a longtemps, Agnès, tu m'avais parlé de Sarn. Je viens de le lire avec un immense plaisir. En lisant, j'avais pensé à Jude l'obscur, mais Sarn dégage un pure lumière.

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