Littérature d'Europe centrale et de Russie

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mercredi, août 7 2013

Ludmilla Oulitskaïa - De Joyeuses funérailles

C’est un livre grouillant et joyeux, où dans la touffeur de New York, été 1991, meurt, gagné par une paralysie progressive de tous ses membres et de toutes ses fonctions, dans son vaste atelier meublé de bric et de broc, le peintre Alik entouré de ses femmes toutes plus dénudées les unes que les autres, et de ses amis. Il y a sa légitime, la blonde Nina évaporée et alcoolique qui a entrepris de le convertir in extremis à l’orthodoxie pour que puissent agir les potions ésotériques de Maria Ignatievna, et puis Valentina à la vaste poitrine, et Irina l’ex-acrobate devenue avocate d’affaire, et encore la fille de cette dernière, Maïka dite T. Shirt, adolescente quasi mutique revenue à la vie grâce à sa rencontre avec Alik. Les scènes au présent se mêlent à des flashes back, entre Russie et USA. Au chevet d’Alik, en ce samedi 17 août 1991 (la date se déduit du Putsch de Moscou évoqué juste après) se rencontrent le naïf et sincère père Victor et le Rabbi Ménaché, qui poursuivront dans le joyeux capharnaüm de l’atelier un débat philosophico-religieux autour de verres en carton de vodka, et parmi tous ces Russes déracinés, une ribambelle de spécimens, blancs, noirs ou cuivrés, des exilés récents ou plus anciens qui peuplent l’Amérique. Une joyeuse bohème porteuse de vie et d’espoir, au-delà de la mort.

Ça se lit bien, malgré la cascade des noms dans laquelle une lecture ensommeillée peut s’égarer. Malgré aussi, mêlées trop souvent aux scènes dialoguées, des sortes de résumés narratifs qui suturent le récit et situent les personnages - trop explicatifs, mal insérés. Malgré enfin, une traduction parfois maladroite, voire, çà et là, fautive. Le texte original est en russe. C’est, malgré ces quelques réserves, un éloge de la vitalité, de la débrouille, de l’amour et de la créativité. D'un très cosmopolite souffle russe, d’un continent à l’autre.

mercredi, février 20 2013

Tibor Déry - Niki, histoire d'un chien

C’est un tout petit livre, un vrai poche de poche, une centaine de pages, une bonne heure de lecture. C’est François qui m’en avait parlé, mais il n’était pas à la bibli, où de Tibor Déry je n’ai pu emprunter que Monsieur  G. A. à X., une brumeuse et angoissante utopie urbaine, que faute de temps je n’ai pas finie et que j’ai dû rendre, en retard. Et de Niki, donc, bernique. Jusqu’à ce que je le trouve, dédicacé, dans ma boîte-aux-lettres, au lycée... merci, François.

Un tout petit livre pour un tout petit chien, une chienne d’ailleurs, une fox bâtarde, qui a trouvé en M. Ancsa, ingénieur, et son épouse, ses maîtres d’élection. C’est en Hongrie, entre 1948 et 1955, en pleine dictature communiste.

Toute l’action, puis l’inaction, l’attente, est contée, non véritablement du point de vue, mais dans une sympathie profonde avec le chien, tel que l’observent, l’éloignent, puis malgré eux l’adoptent ses nouveaux maîtres. A travers  le comportement de Niki, ses promenades à la campagne puis à la ville, ses jeux, ses chasses et ses perplexités, son goût pour les cailloux, sa vitalité joyeuse progressivement mise à mal par la chape d’hostilité et de tristesse secrétée par la situation politique et sociale. Le désarroi et le silence partagés jusqu’au désespoir. La chienne Niki est bien plus qu’un simple animal typisé pour illustrer une fable politique. C’est un personnage à part entière. Cette histoire est, sur fond de déhumanisation liée au régime politique, une histoire de fraternité d’âmes, et d’amour, entre hommes et chien. Qui élargit notre regard sur les chiens, et sur les hommes. C’est conté avec brio et traduit magnifiquement. C’est chez Circé poche, un tout petit volume, mais un grand livre, pour la toute petite vie d’un tout petit chien.

jeudi, août 9 2012

Tourgueniev - Journal d'un homme de trop

« J’ai été l’homme, ou si l’on veut l’oiseau le plus superflu du monde »

Il y a quelque chose de très russe dans la manie introspective et la lucidité désabusée de Saul Karoo. C’est ce que je me disais en lisant un mince ouvrage (72 pages), joli  in octavo, couverture quadrillée comme les pages d’un carnet de notes, trois gravures de Felice Filippini, éditions Aux Portes de France, collection de L’Oiseleur, à Lausanne, sans date. Journal d’un homme de trop, de Tourgueniev, qui m’attendait depuis longtemps, j’ai coupé les pages ! rien sur le traducteur, ni sur l’origine du texte, mais wikisource, ici, donne 1850 et une traduction de Louis Viardot – revue, je crois, par l’auteur -, et c’est la même.

Les dix derniers jours de Tchoulkatourine (a-t-il des noms patronymiques ? je ne crois pas), appelé un jour par son « rival », ou déclaré tel, le prince N., 'Chtoukatourine' quelque chose comme « l’homme de plâtre »… Du 20 mars au 1er avril 18**, le journal d’une agonie morale, une tentative avant mourir de donner une forme, ou un sens ? à la vie d’un homme qui, au fil de l’écriture, se découvre, depuis toujours, « superflu ».

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dimanche, mai 3 2009

Ivan Tourgueniev - Premier Amour

Zinaïda, Zina, Zinotchka, exotiques modulations des prénoms russes. Elle est princesse, dans la dèche, affligée d’une mère inculte, grossière, procédurière et quémandeuse. Elle est cet été-là la voisine de Vladimir Pétrovitch, bientôt rebaptisé moqueusement Monsieur Voldémar, à qui elle apparaît un soir en son jardin, frappant d’un bref coup de fleur* au front le cercle de ses soupirants comme en un adoubement amoureux. Fantasque, rieuse, gracieuse, songeuse Zinaïda de vingt ans qui cristallise en un instant tous les élans amoureux informulés du jeune héros. Il a seize ans, des parents mal assortis, l’amour de la poésie déclamée à voix haute dans les parcs, et en lui une vitalité jaillissante et passionnée.

C’est à Moscou, dans les années 1830. Le roman est de 1860. Je l’avais lu, aussi, à l’adolescence. Relu depuis, y retrouvant à chaque fois avec le même sentiment de complétude la beauté des évocations de la nature, la justesse des analyses esquissées, la charge suggestive des actes et des gestes. Une suite d'instants de grâce. Brève, lumineuse et sombre histoire. Un carmen amoris.

(1) : le narrateur en a oublié le nom. Je crains, à la description, qu’il ne s’agisse de la fleurette très peu poétiquement nommée « Silène enflé », dont le calice à maturité explose lorsqu'il est frappé…

mercredi, janvier 2 2008

Petits fours aigre-doux, légèrement épicés...

« À la une du Mercenaire, en caractères gras, un bandeau à en-tête avisait le public :  Chaque ligne de ce journal est payée. Nous dépendons du gouvernement quel qu’il soit, nous n’écrivons jamais notre propre opinion, sauf quand nous y contraint le plus sordide esprit de lucre. En conséquence nous avertissons nos lecteurs, pour lesquels, individuellement et collectivement, nous n’avons que profond dédain et mépris, qu’ils n’ont pas à prendre au sérieux nos articles, et qu’ils doivent avoir pour nous autant de mépris et dédain que nous le méritons, si toutefois c’est humainement possible. »

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vendredi, août 10 2007

Et les Russes, donc ?

Autre bref bonheur de lecture, de relecture, plutôt : La Fille du capitaine, petit roman de Pouchkine que j'avais dévoré adolescente. Le genre de texte qui me comble, sans l’ombre d’une réserve : le narrateur, Pierre Andréievitch Griniov, est un ex-jeune homme de 17 ans qui quitte le foyer familial pour aller apprendre la vie à l'armée. Il est expédié du côté d'Orenbourg dans un petit fort perdu d'une région où va bientôt sévir le cosaque rebelle Pougatchov. Le récit est mené avec vivacité sans la moindre longueur historique ni psychologique, et tous les personnages sont merveilleux de vie et de "réalisme" : Le couple du commandant du fort, un type modeste, inculte et bon, et de sa femme, qui gouverne de fait le fort comme elle gouverne son ménage, avec autorité et bon sens, le serf-nounou, (le diadka) Savélitch, envahissant comme une mère, gaffeur et fidèle, non pas comparse, mais personnage essentiel, l'inquiétant et envieux Chvabrine, insinuant et perfide, et tout les personnages annexes qui grouillent autour des deux protagonistes : non pas Pierre Andréievitch Griniov et Macha, la fille du capitaine, pour le coup seul personnage un peu falot, un peu désincarné du récit, mais Griniov et Pougatchov, qu'une rencontre de hasard avant la révolte a unis en une étrange relation de respect et d'ironie réciproques.

C'est un roman d'apprentissage sur fond de récit historique, lequel complète sur le mode romanesque une recherche documentaire très précise que Pouchkine avait menée sur le sujet. Le roman date de 1835-36, la révolte de 1773, encore très proche somme toute. On est, pour autant que je sache, aux origines du roman russe en russe, et tout y est : pour le lecteur européen, la magie des mots exotiques, touloupe, sarafane, kibitka, kirghize, izba et j'en passe tant et tant, mais aussi des décors et des personnages campés avec justesse, en quelques traits précis et évocateurs : on VOIT la forteresse minable et rustique avec ses Cosaques et son canon plein de petites saletés qu'y engouffrent les enfants, sa revue quotidienne de paysans frustes incapables de reconnaître leur droite de leur gauche… Chaque chapitre s'ouvre sur une épigraphe extraite d'une chanson qui donne au roman sa coloration d'épopée populaire. Le récit va son train sans temps morts (de ce point de vue, c'est beaucoup mieux que Balzac, et Dieu sait si j'aime Balzac), la psychologie des personnages est plutôt suggérée par des actes ou des propos qu'analysée mais tout sonne juste, en particulier les conversations toujours familières, même si le registre change, du foyer du capitaine au conseil de guerre à Orenbourg ou à l'entretien de Macha avec la belle dame du parc à Tsarskoïé-Sélo…

Pour ouvrir la rubrique « Littérature russe », quoi de plus juste que ce petit bijou du plus romanesque des écrivains en langue russe, aristocrate et quarteron, tué en duel pour l’honneur de son épouse par son beau-frère (?) le baron d’Anthès ! Ça ne s’invente pas !

Je l'ai lu dans la traduction de Raoul Labry, qui est semble-t-il celle que propose l'édition Librio (2 euros de plaisir garanti…). Le Livre de Poche en propose une de Vladimir Volkoff, on le trouve en ligne dans une traduction dont j'ignore l'auteur (ce n'est pas Labry) http://www.gutenberg.org/files/13798/13798-8.txt , et la première traduction est le fait de Louis Viardot – le mari de Pauline, dont Tourgueniev était amoureux. http://www.abeilleinfo.com/dossiers/dossier.php?nomdossier=viardot&rg=1&tit_dos=Pauline%20Viardot .