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vendredi, août 10 2007

Et les Russes, donc ?

Autre bref bonheur de lecture, de relecture, plutôt : La Fille du capitaine, petit roman de Pouchkine que j'avais dévoré adolescente. Le genre de texte qui me comble, sans l’ombre d’une réserve : le narrateur, Pierre Andréievitch Griniov, est un ex-jeune homme de 17 ans qui quitte le foyer familial pour aller apprendre la vie à l'armée. Il est expédié du côté d'Orenbourg dans un petit fort perdu d'une région où va bientôt sévir le cosaque rebelle Pougatchov. Le récit est mené avec vivacité sans la moindre longueur historique ni psychologique, et tous les personnages sont merveilleux de vie et de "réalisme" : Le couple du commandant du fort, un type modeste, inculte et bon, et de sa femme, qui gouverne de fait le fort comme elle gouverne son ménage, avec autorité et bon sens, le serf-nounou, (le diadka) Savélitch, envahissant comme une mère, gaffeur et fidèle, non pas comparse, mais personnage essentiel, l'inquiétant et envieux Chvabrine, insinuant et perfide, et tout les personnages annexes qui grouillent autour des deux protagonistes : non pas Pierre Andréievitch Griniov et Macha, la fille du capitaine, pour le coup seul personnage un peu falot, un peu désincarné du récit, mais Griniov et Pougatchov, qu'une rencontre de hasard avant la révolte a unis en une étrange relation de respect et d'ironie réciproques.

C'est un roman d'apprentissage sur fond de récit historique, lequel complète sur le mode romanesque une recherche documentaire très précise que Pouchkine avait menée sur le sujet. Le roman date de 1835-36, la révolte de 1773, encore très proche somme toute. On est, pour autant que je sache, aux origines du roman russe en russe, et tout y est : pour le lecteur européen, la magie des mots exotiques, touloupe, sarafane, kibitka, kirghize, izba et j'en passe tant et tant, mais aussi des décors et des personnages campés avec justesse, en quelques traits précis et évocateurs : on VOIT la forteresse minable et rustique avec ses Cosaques et son canon plein de petites saletés qu'y engouffrent les enfants, sa revue quotidienne de paysans frustes incapables de reconnaître leur droite de leur gauche… Chaque chapitre s'ouvre sur une épigraphe extraite d'une chanson qui donne au roman sa coloration d'épopée populaire. Le récit va son train sans temps morts (de ce point de vue, c'est beaucoup mieux que Balzac, et Dieu sait si j'aime Balzac), la psychologie des personnages est plutôt suggérée par des actes ou des propos qu'analysée mais tout sonne juste, en particulier les conversations toujours familières, même si le registre change, du foyer du capitaine au conseil de guerre à Orenbourg ou à l'entretien de Macha avec la belle dame du parc à Tsarskoïé-Sélo…

Pour ouvrir la rubrique « Littérature russe », quoi de plus juste que ce petit bijou du plus romanesque des écrivains en langue russe, aristocrate et quarteron, tué en duel pour l’honneur de son épouse par son beau-frère (?) le baron d’Anthès ! Ça ne s’invente pas !

Je l'ai lu dans la traduction de Raoul Labry, qui est semble-t-il celle que propose l'édition Librio (2 euros de plaisir garanti…). Le Livre de Poche en propose une de Vladimir Volkoff, on le trouve en ligne dans une traduction dont j'ignore l'auteur (ce n'est pas Labry) http://www.gutenberg.org/files/13798/13798-8.txt , et la première traduction est le fait de Louis Viardot – le mari de Pauline, dont Tourgueniev était amoureux. http://www.abeilleinfo.com/dossiers/dossier.php?nomdossier=viardot&rg=1&tit_dos=Pauline%20Viardot .