Une trouvaille ? - Non, une curiosité...

"Lasse de lutter contre sa jeunesse, fatiguée de vingt ans d’extase, la tête chargée des odeurs de l’encens, le cœur noyé dans les rêves mystiques, servante de Jésus-Christ, fiancée de Maurice, esprit malade, corps sain, elle sentit tout d’un coup le désir naître et sa vertu crouler".
(J'aime bien la chute...)

J’ai exhumé en rangeant des livres un mince volume édité chez Ombres en 1996, et que j’avais laissé s’ensevelir sans l’ouvrir : Un gentilhomme, de Jules Vallès, roman feuilleton de 1869, préface de Roger Bellet, son éditeur dans la Pléiade. Joli petit livre (mauvaise reliure), mais quelle déconvenue que cette lecture ! C’est du Vallès avant Vallès. Le texte d’un auteur qui ne s’est pas trouvé.
Une sombre histoire de famille aristocratique d’Auvergne dominée par une grand-mère toute puissante dans sa méchanceté, qui impose ses volontés à sa belle-fille veuve et haïe, une bigote qui ne laisse elle-même à son fils, Maurice, le « héros », aucune liberté (c'est une "méchante" superlative !). Il grandit donc, gauche et blafard, étouffé par les femmes et la religion, jusqu’au jour où son état de santé oblige sa mère à le laisser séjourner chez l’oncle paria, François, qui a épousé une paysanne et vit en fermier. Suivent quelques pages vraiment vallésiennes, comme diraient les cuistres : la découverte des saveurs, des odeurs et des goûts de la campagne sous la conduite de sa cousine la ronde et radieuse Louise, la liberté, la réconciliation avec le corps et la nature, la joie physique. Maurice a trouvé son univers, oubliant ses prières et ses préjugés aristocratiques. Ce sont des pages lumineuses, qui rappellent les séjours à la campagne de l’Enfant, à Fareyrolles avec les cousines, ou chez l’oncle curé. Hélas, Maurice est rappelé par sa mère, il retrouve le château obscur et glacé, la nourriture sans saveur, les contraintes, l’absence d’affection. Jusqu’à la mort de la grand-mère (épisode très noir et très mélodramatique, mais raté) qui naturellement les a déshérités et les laisse à la charité de sa seconde petite-fille, une jeune vierge vieillissante et dévote, mais bonne fille, et gourmande. Naturellement, celle-ci s’éprend de son cousin, qui ignore ses maladroites coquetteries tant est vivace en lui le souvenir de Louise….

Je ne vais pas vous raconter la fin, qui est sanglante. Du pur mélo, digne de Pixérécourt au moins ! (ou de Nodier tel que le conte Dumas en ses Mémoires, dans un savoureux épisode de rencontre à la Porte Saint Martin). Pour le reste, on voit passer l’influence de Hugo – Babassou est une variété de Quasimodo - et du roman populaire de l’époque. Mais rien du souffle ironique de Vallès, de sa narration brisée et railleuse, ou lyrique. Un récit mal cousu, dans une époque où il avait sans doute bien d’autres chats à fouetter, même si ses journaux s’étaient cassé la figure. Un document intéressant – si l’on n’a pas lu la préface, qui dévoile tout ! -, à des années-lumière de l’allégresse narrative et stylistique, des portraits enlevés et des dialogues nerveux du Vallès-Vingtras de la Trilogie, à qui le temps, la mort et l’exil ont permis de trouver sa voix.
Sur Vallès, ce site.

NB : L'épisode Nodier est ici, il y en a cinq ou six chapitres :

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