Hector Malot - 'En famille', dans les marais picards

Un des livres qui a le plus fait rêver mon enfance. C’est une robinsonnade, au féminin. Je me demande pourquoi on ne l’étudie plus jamais, comme d’autres auteurs pour l’enfance du XIXe. Pourtant, la  langue en est riche et belle, sans être précieuse, et les sujets traités ne sont que discrètement édifiants. Pour l’héroïne d’En Famille, Perrine - du nom de la petite-fille d’Hector Malot m’apprend wikipedia - elle est métisse de brahmane (certes pas d’intouchable, mais quand même) et de picard, elle doit se débrouiller dans la vie grâce à son inventivité et à sa vitalité, et elle en voit des vertes et des pas mûres. Quant au complexe industriel de Vulfran Paindavoine (le nom m’était resté comme au temps de mes premières lectures), il tient plus à la fin du Familistère de Godin que des usines Saint Frères me semble-t-il.

Bref, j’aime ce livre, et voici le premier séjour de Perrine dans son « aumuche », après une nuit étouffante et malsaine dans une « chambrée » d’ouvrières de la mère Françoise, à Maraucourt, le nom romanesque de Flixecourt.

« L’aumuche était de forme carrée et toute tapissée jusqu’au toit d’un épais revêtement de roseaux et de grandes herbes : aux quatre faces étaient percées des petites ouvertures invisibles du dehors, mais qui donnaient des vues sur les entours et laissaient aussi pénétrer la lumière ; sur le sol était étendue une épaisse couche de fougères ; dans un coin un billot fait d’un troc d’arbre servait de chaise.

Ah ! le joli nid ! qu’il ressemblait peu à la chambre qu’elle venait de quitter. Comme elle eût été mieux là pour dormir, en bon air, tranquille, couchée dans la fougère, sans autres bruits que ceux du feuillage et des eaux, plutôt qu’entre les draps si durs de Mme Françoise, au milieu des cris de la Noyelle, et de ses camarades, dans cette atmosphère horrible dont l’odeur toujours persistante la poursuivait en lui soulevant le cœur.

Elle s’allongea sur la fougère, et se tassa dans un coin contre la moelleuse paroi des roseaux en fermant les yeux. Mais, comme elle ne tarda pas à se sentir gagnée par un doux engourdissement, elle se remit sur ses jambes, car il ne lui était pas permis de s’endormir tout à fait, de peur de ne pas s’éveiller avant l’entrée aux ateliers.

Maintenant le soleil était levé, et, par l’ouverture exposée à l’orient, un rayon d’or entrait dans l’aumuche qu’il illuminait ; au dehors les oiseaux chantaient, et autour de l’îlot, sur l’étang, dans les roseaux, sur les branches des saules se faisait entendre une confusion de bruits, de murmures, de sifflements, de cris qui annonçaient l’éveil à la vie de toutes les bêtes de la tourbière.

Elle mit la tête à une ouverture et vit ces bêtes s’ébattre autour de l’aumuche en pleine sécurité : dans les roseaux, des libellules voletaient de çà et de là ; le long des rives, des oiseaux piquaient de leurs becs la terre humide pour saisir des vers, et, sur l’étang couvert d’une buée légère, une sarcelle d’un brun cendré, plus mignonne que les canes domestiques, nageait entourée de ses petits qu’elle tâchait de maintenir près d’elle par des appels incessants, mais sans y parvenir, car ils s’échappaient pour s’élancer à travers les nénuphars fleuris où ils s’empêtraient, à la poursuite de tous les insectes qui passaient à leur portée. Tout à coup un rayon bleu rapide comme un éclair l’éblouit, et ce fut seulement après qu’il eut disparu qu’elle comprit que c’était un martin-pêcheur qui venait de traverser l’étang.

Longtemps, sans un mouvement qui, en trahissant sa présence, aurait fait envoler tout ce monde de la prairie, elle resta à sa fenêtre, à le regarder. Comme tout cela était joli dans cette fraîche lumière, gai, vivant, amusant, nouveau à ses yeux, assez féerique pour qu’elle se demandât si cette île avec sa hutte n’était point une petite arche de Noé. »

Malot a été le patient soutien et le relais de Vallès auprès des éditeurs pendant l’exil londonien du journaliste après la Commune. C’est lui qui a fait éditer L’Enfant. Séverine l’appelait semble-t-il Malot la probité, ce qui est un beau nom. J’ai plaisir ce soir à l’évoquer et à le citer.

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