Mot-clé - Everett

Fil des billets - Fil des commentaires

mardi, août 3 2010

Everett - Glyphe, roman cabalistique

Je n’ai pas raffolé de Glyphe, lu aussitôt qu’emprunté. On y retrouve un argument analogue à celui de Désert Américain, i.e. une traversée de la société américaine, ou de quelques-unes de ses institutions, par un « monstre » dont elles se sont emparé pour tenter d’en tirer profit. Dans Désert Américain, c’était Ted Street, le mort ressuscité ( ?), que poursuivaient la télé, l’armée, et des sectes religieuses, prétextes à une satire féroce et débridée de ladite société. Dans Glyphe, il s’agit d’un bébé sarcastique doté dès l’origine de la capacité de comprendre, d’assimiler TOUT ce qu’il lit (les ouvrages scientifiques les plus complexes compris), et d’écrire, alors même qu’il refuse de parler. Réflexion trapue sur le langage, la linguistique, et l’apport ( ?) de l’analyse barthésienne à la critique littéraire – on rencontre à plusieurs reprises Barthes soi-même, concupiscent, abscons et hétérosexuel, au détour de tel ou tel épisode du roman -, le roman est construit comme un puzzle hyper érudit et truffé de références philosophiques, biologiques, et autres sciences classiques ou modernes qui nécessitent de la part du lecteur une connaissance du grec, du latin, de la sémiologie et qui sait quoi encore, lesquelles le lecteur moyen ignore radicalement, ce qui a pour effet de le faire se sentir un peu sot – c’est désagréable, on a l’impression que l’auteur, au lieu de nous inviter, nous laisse sur le seuil de son roman. Lequel se lit au demeurant fort bien, parce qu’il raconte quand même une histoire, mais, je le crains, une histoire trop désincarnée : Ralph est moins un bébé qu’un prétexte, et sa puissance intellectuelle ne compense pas une certaine sécheresse diffuse, à laquelle échappe presque seule la mère, peintre, fragile, aimante, de l’enfant. Très cérébral, tout ça. Virtuose, mais à quoi bon ?  Je l’ai lu, j’ai souri, j’ai râlé intérieurement - et je suis allée me coucher, déçue, frustrée, sur ma faim.

Lire la suite...

lundi, avril 27 2009

Percival Everett - Désert Américain

J’ai un penchant déclaré, lorsqu’un auteur me séduit, à écluser ses ouvrages disponibles. Il y a eu, l’été dernier, Irène Nemirovsky, ou Westlake, ou McEwan. Ces derniers temps, c’est Percival Everett. Heureusement, il n’y en a pour l’instant que quatre traduits en français. Après mon interminable tartine d’hier sur Effacement, je serai plus brève.
Désert américain est aussi une satire, débridée, féroce. Qui commence par une mise en pièces, celle du héros, décapité par son pare-brise dans un accident de voiture alors qu’il était en route vers son suicide. Oui, mais voilà. En pleine cérémonie funèbre, alors que son oraison vient d’être prononcée, Ted Street se redresse et sort de son cercueil, nu de la taille aux orteils parce que le patron des pompes funèbres lui a piqué son pantalon. Décès dans l’église même de deux assistants par crise cardiaque, chaos, émeute gigantesque dans toute la petite ville de Californie, effervescence nationale. Est-il mort, est-il vivant ? Si ses sensations physiques ont quasi disparu, Ted ressent les émotions sur un mode beaucoup plus intense, en particulier à l’égard de sa famille, bouleversée à tous les sens du terme par cette expérience totalement inédite.

Lire la suite...

dimanche, avril 26 2009

Percival Everett - Effacement

erasure.jpgThelonious (Monk) Ellison est professeur d’université et romancier. Il écrit des textes difficiles, - que sa sœur Lisa avoue ne pas arriver à lire -, parodie réflexive de recherches littéraires à la Barthes ou réécritures érudites de textes antiques, lesquels n’ont aucun succès, non pas tant à cause de leur difficulté que parce qu’ils n’ont rien à voir avec « l’expérience afro-américaine ». Car Thelonious (Monk) Ellison est noir, et se doit donc, selon la critique, d’écrire des textes ancrés dans la sociologie et la psychologie afro-américaines. Célibataire, il voit sa famille s’effilocher peu à peu : le père, médecin adulé de ses patients, s’est suicidé sept ans plus tôt, la mère glisse peu à peu dans l’oubli apporté par la maladie d’Alzheimer, sa sœur Lisa est assassinée, la gouvernante de toujours, Lorraine, épouse tout à coup un vieux soupirant de vacances, et son frère Bill, après un outing assez piteux, disparaît de sa vie sur un « fuck off » laconique et définitif.

Ulcéré par le succès national d’un pseudo-témoignage sur l’expérience du ghetto, obligé pour s’occuper de sa mère de quitter sa vie sur la côte ouest et de s’installer dans la maison familiale de Washington, à court d’argent, Monk compose dans un jaillissement de rage parodique un bref roman « My Pafology » (bizarrement rendu dans la traduction par « Ma Pataulogie »), attribué à un certain Stagg R. Leigh. C’est le récit à la première personne , en prétendu argot de ghetto, de l’aventure d’un jeune noir de 19 ans, Van Go Jenkins, chômeur, violent, violeur, raciste, meurtrier en puissance puis en acte. Un « fucker », si je puis me permettre ce néologisme, sa langue et son rapport aux autres se réduisant à peu près à cette quasi interjection, qui deviendra le titre définitif du roman (« Putain », dans la traduction). Envoyé par lassitude et par défi à l’agent de Monk, le roman est immédiatement accueilli avec faveur par l’un des plus grands éditeurs américains (Random House), puis les droits en sont achetés pour une somme faramineuse par un producteur de cinéma. S’il n’a plus de problèmes d’argent, Monk est en revanche chaque jour plus investi par la personnalité de Stagg R. Leigh, au risque de trahir chaque jour un peu plus ses idéaux humains et esthétiques.

Telle est, sommairement résumée, l’intrigue d’Effacement, en anglais Erasure. Mais un tel résumé ne donne qu’une vision linéaire, étroite, une vague idée de la diabolique construction de ce roman que j’ai lu – deux fois – dans une joie et une fièvre intenses. Car il s’agit aussi, surtout, d’une mise en œuvre, en acte, d’une réflexion profonde, aiguë, excitante sur l’art du roman, afro-américain ou pas, aujourd’hui.

Lire la suite...

dimanche, avril 5 2009

Blessés - Percival Everett - Actes Sud Babel

L’un des chevaux s’appelle Félonie, l’une des juments Loyale, la mule impossible à tenir enfermée dans un enclos ou un box et toujours en vadrouille, Fléau, la chienne Zoé, et la petite femelle coyote miraculée à trois pattes s’appellera finalement Émilie, du nom d’une vieille dame vive et coriace récemment trépassée. Ça plante un décor. C’est l’univers – animal - familier de John Hunt, le rancher quadragénaire qui vit en lisière du désert rouge avec son vieil oncle Gus, un type laconique et bienveillant, fin cuistot, à qui on ne la fait pas. Il élève et dresse, avec doigté, douceur et fermeté, des chevaux. Il y a encore Morgan, la fille d’Émilie, qui a entrepris avec patience de séduire John, malgré la douleur mêlée de remords qu’il porte depuis l’accident de cheval qui a tué sa femme, six ans plus tôt.

Mais il y a aussi les grottes qui fascinent John, entrailles rocheuses obscures où il revient périodiquement, et la splendeur du désert au bord duquel il a fait un jour escale, délaissant toute vie mondaine. Et puis la petite ville de Highland, avec son shérif, ses bars, sa routine et ses blagues, son ennui.

Lire la suite...