Percival Everett - Désert Américain

J’ai un penchant déclaré, lorsqu’un auteur me séduit, à écluser ses ouvrages disponibles. Il y a eu, l’été dernier, Irène Nemirovsky, ou Westlake, ou McEwan. Ces derniers temps, c’est Percival Everett. Heureusement, il n’y en a pour l’instant que quatre traduits en français. Après mon interminable tartine d’hier sur Effacement, je serai plus brève.
Désert américain est aussi une satire, débridée, féroce. Qui commence par une mise en pièces, celle du héros, décapité par son pare-brise dans un accident de voiture alors qu’il était en route vers son suicide. Oui, mais voilà. En pleine cérémonie funèbre, alors que son oraison vient d’être prononcée, Ted Street se redresse et sort de son cercueil, nu de la taille aux orteils parce que le patron des pompes funèbres lui a piqué son pantalon. Décès dans l’église même de deux assistants par crise cardiaque, chaos, émeute gigantesque dans toute la petite ville de Californie, effervescence nationale. Est-il mort, est-il vivant ? Si ses sensations physiques ont quasi disparu, Ted ressent les émotions sur un mode beaucoup plus intense, en particulier à l’égard de sa famille, bouleversée à tous les sens du terme par cette expérience totalement inédite.

Je vous laisse découvrir la suite du roman, qui évolue vers une sorte de « road novel », où, après avoir affronté l’assaut des médias, et en particulier une mégère télévisuelle nommée Barbie Becker, Ted est enlevé, son immortalité? sa résurrection? son statut de mort-vivant ou de vivant-mort, attisant toutes sortes de questions, désirs, fantasmes. C’est allègre, grinçant et burlesque, grand-guignolesque à l’occasion. Mené avec brio, malgré le côté un peu systématique et répétitif des aventures de Ted (Théodore, don de Dieu…). C’est construit en scènes brèves et efficaces, de plus en plus rapides au fil de l’histoire, montage alterné, cut. Palpitant, inquiétant, et profond.

Il a juste une chose qui me chiffonne. Je suis très reconnaissante à Mme Anne-Laure Tissut de traduire Percival Everett que sans elle j’aurais continué à ignorer. Mais pourquoi cet étrange parti pris de traduire en français certains des noms, avec l’explication en note, alors que la note aurait suffi ? ainsi de Ted devenu Larue (Street), et des entrepreneurs de pompes funèbres Sandre, Tombaud et Lainseul, alors qu’ils s’appellent en anglais Ash, Graves and Shroud sans modification orthographique ? Pourquoi alors ne pas annoter ou traduire tous les noms, qui chez Everett sont toujours semble-t-il riches de sous-entendus ? Cela donne un sentiment d’inachèvement, de maladresse, et cela fait trébucher la lecture. J’ai vu hier en me promenant sur la toile – où l’on trouve de grands fragments de Erasure, ce qui m’a permis de vérifier mon hypothèse que « Putain » traduisait « Fuck » - qu’une liste de quinze termes désignant le « willy, stick, dick »…. avait été traduite par cinq mots français. C’est pour le moins surprenant. N’importe quel dictionnaire d’argot peut largement fournir de quoi remédier à ce genre de pénurie, si pénurie il y a. Comme si la traduction n’avait pas été fignolée, faute de temps ? Ce n’est pas la première fois que je remarque des problèmes de traduction chez Actes Sud, l’expérience la pire étant sans doute celle de Millénium. Pour une maison de prestige, et des auteurs qui ne le sont pas moins, c’est dommage.

M’enfin... Frustrations légères. Désert Américain n’en est pas moins une très réjouissante lecture.

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