Marc Dugain -La Chambre des officiers

''Pourquoi, c’est marrant ce bouquin'' ? a demandé Vincent, 15 ans, en relevant le nez du ''Cercle des éplucheurs de patates'', comme je pouffais à deux reprises dans ma lecture. Surpris. Il avait vu le film de François Dupeyron et savait bien qu’il s’agissait d’un sujet grave. Le lent retour au monde d’un jeune ingénieur du génie dont une « marmite » a fait exploser le bas du visage le premier jour de la guerre de 14, au cours d’une reconnaissance. Cinq ans au Val de Grâce : toute la guerre plus un peu de rabe, dans la chambre réservée aux officiers devenus des « gueules cassées », d’où le titre. Seize opérations, pour récupérer la parole et la faculté de s’alimenter, mais pas figure humaine, malgré les efforts et l’ingéniosité des chirurgiens. Chronique à la première personne d’un apprentissage de la douleur, de l’impuissance, de l’horreur de soi. Puis de l’amitié et de la fraternité, de l’inventivité, de la gouaille, avec ses deux copains d’élection, l’aviateur juif Weil et l’aristocrate breton Penanster. Les trois anciens de la Chambre des officiers ont constitué une sorte de club auquel ils ont intégré Marguerite, infirmière devenue elle aussi gueule cassée.


Le film de Dupeyron, que j’avais vu avant de lire le roman, concentre l’action autour de la vie à l’hôpital et du retour à la vie civile. C’est une adaptation très réussie, sans fioritures, sobrement mise en scène et interprétée. Le roman s’étend quant à lui jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. On y connaît donc le destin ultérieur des « héros », et la façon dont leur vie d’homme s’est poursuivie après la grande guerre. Romancier et réalisateur ont tous deux, l’un plus consciemment que l’autre, réglé une dette : j’avais entendu un jour François Dupeyron raconter comment, peut-être deux ans après le film, ayant récupéré les archives concernant son grand-père et son grand-oncle ( ?) morts pendant la première guerre mondiale, il s’était rendu au cimetière picard où ils étaient enterrés, et y avait passé l’après-midi entière à pleurer sous l’emprise d’un incoercible et surprenant chagrin, dont il avait ensuite compris qu’il était celui de sa grand-mère. Marc Dugain a, quant à lui, très délibérément transposé dans cette histoire celle de son grand-père dont il semble avoir été très proche : le roman, dont le héros s’appelle Adrien Fournier, est dédié à Eugène Fournier. Aucun pathos dans le roman comme dans le film. S’ils nous mettent parfois au bord des larmes, on y sourit aussi. Cette histoire de « greffe générale » (titre du journal édité dans la chambre des officiers) met en œuvre les vertus curatives du rire. Dans le monde grimaçant des gueules cassées, c’est le rire, précisément, ou au moins le sourire, qui les rend à l’humanité et nous les rend si proches.

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