Le Cercle Littéraire des amateurs d'épluchures de patates - Mary Ann Shaffer et Annie Barrows

Ma jeune et joyeuse amie Hélène appelle cela un « roman de bichette ». Dans sa nomenclature personnelle, cela semble désigner ce que j’appelle pour ma part un « roman reconstituant », avec une nuance supplémentaire de romanesque, versant féminin. Est-ce d’ailleurs un roman susceptible de plaire aux messieurs ? Oui, sans doute, si l’on considère que c’est LE libraire qui nous l’a conseillé, et que le succès mondial d’un bouquin ne peut tout de même pas venir de ses seules lectRICES ? Encore que. En tout cas, nous nous en entretînmes avec une satisfaction joyeuse, après l’avoir lu quasiment au même moment. Nous n’en avons même pas évoqué tel ou tel personnage ou telle ou telle anecdote. Seulement la sorte de plénitude éprouvée à trouver chaque situation et chaque personnage à sa place avec le ton juste, et le plaisir de dévorer  un-roman-qui-reste sans arrière-pensées en une période de grande fatigue. Autre « roman-de-lecteurs », au passage. Il faudrait se pencher sérieusement sur cette tendance, mais je n’ai certes pas pour l’heure l’esprit en état. Brèfle.
C’est un roman épistolaire, dont la voix « dominante » (encore qu’elle ne domine guère, en proie qu’elle est à toutes les incertitudes) est celle Juliet Ashton, 33 ans, autrice d’un best seller d’après-guerre, les Chroniques d’Izzy Bickerstaff pour le Spectator rassemblées en volume. Articles légers écrits au fil des six années de guerre pour lutter par l’humour contre le désarroi et le marasme. Mais Juliet en a assez d’Izzy, de la campagne de promotion du livre organisée par son cher ami, éditeur et mentor Sidney à travers le pays, et ses lettres à son amie Sophie (au demeurant sœur de Sidney mariée en Écosse) et à Sidney lui-même en témoignent. Elle en a assez de la guerre, et son prochain livre piétine. Jusqu’à ce qu’elle reçoive de Guernesey une lettre inattendue, cependant qu’un riche et séduisant éditeur new-yorkais a entrepris de l’assiéger à grands renforts de fleurs rares, de dîners fins, de sorties au théâtre et de soirées dansantes, à la grande réprobation de Sidney d’ailleurs.

Je n’en dirai pas plus. Le roman grouille de voix diverses, masculines et féminines, londoniennes et insulaires, bien- et mal-veillantes. De lettres longues ou brèves et de micro-billets. Il évoque sur le mode léger des sujets graves, et l’on en apprend beaucoup sur la cruelle occupation subie par les habitants de l’île de 40 à la fin 44, sur leur isolement absolu, sur leurs combines et leurs petits héroïsmes quotidiens (c’est un porc engraissé subrepticement et dégusté idem qui est à l’origine de la fondation du cercle littéraire qui donne son titre au livre, en anglais The Guernsey literary and potato peel pie society). On y rencontre aussi Charles Lamb (rôle majeur d’icelui, que je ne connaissais que pour ses Tales from Shakespeare, écrits avec sa sœur et je sais bien désormais que je vais me pencher sur ce que l’édition française offre sur le personnage), Jane Austen ou les sœurs Brontë, ou Sénèque et Marc-Aurèle, que du beau linge. Le ton léger et piquant m’évoque celui de Daddy-long-legs de Jean Webster, un des livres d’élection de mon enfance. Car, si le roman ne fait entendre quasiment que des voix anglaises et anglo-normandes, les autrices - la tante et la nièce, l’aînée bibliothécaire décédée à 74 ans peu après avoir appris qu’elle allait être publiée et traduite - les autrices donc sont américaines, et c’est une ode à l’ancien monde, à ses habitants et à ses lettres qu’elles ont écrite avec talent, vivacité et impertinence.

Commentaires

1. Le lundi, décembre 14 2009, 21:23 par defdo

non seulement vous êtes lue mais vos chroniques sont attendues avec impatience.

"le cercle littéraire des amateurs d'épluchure de patates" est de lecture bien agréable
même si l'intrigue sentimentale peut sembler un peu convenue.
toutefois on reste un peu sur sa faim en ce qui concerne l'analyse de la découverte d'ouvrages classiques par des lecteurs non préparés à ces lectures et sur ce qui les a captivé.


Dans le registre des livres autour des livres, "Firmin, autobiographie d'un grignoteur de livres" de S.Savage aux éditions actes sud m'a semblé intéressant et plein de sensibilité même si le rythme est parfois un peu lent et si on aurait aimé en savoir un peu plus un peu plus sur les ouvrages dévorés ce qui aurait pu inciter à les lire ou à les relire

D.Defrance

2. Le lundi, décembre 14 2009, 21:50 par Agnès

Merci à vous Dominique.
Il est vrai que je ne suis pas très régulière dans mes chroniques. J'espère avoir un peu de temps (et de grain à moudre) pendant les fêtes.
Moi, j'aime bien les intrigues sentimentales "convenues". Attendues, je dirais plutôt. On les voit venir, comme "dans la vie" ? et on peut s'en réjouir ! Je trouve que le rebondissement lié à Isola se prenant pour Miss Marple est très amusant, et amène très astucieusement un dénouement qui sans cela eût pu être un peu plat.
Quant aux impressions de lecture des divers membres du cercle, je vous trouve sévère. On sait quelle passion Sénèque a déclenchée chez Booker, et pourquoi, ce qu'il en est du type qui adore Marc Aurèle et de son copain qui le traite de vieille femme, quand Isola s'est mise à adorer Les Hauts de Hurlevent (au même moment que moi, et que des milliers de lecteurs, je pense), sans parler de Dawsey et de Charles Lamb, qu'il donne terriblement envie de lire. Ca fait beaucoup, non ? et j'en oublie !
Bien à vous, bonnes lectures,
Agnès

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