Du Givre sur les épaules - Lorenzo Médiano

C’est encore mon ami libraire Paul qui m’a conseillé la lecture de ce roman, que je n’eusse sans lui jamais rencontré, même s’il a obtenu le prix Vivre-Livre des lecteurs de Val d’Isère 2009. Jamais entendu parler en effet des éditions la ramonda sises à Limoges, et qui publient semble-t-il pas mal de traductions de l’espagnol.

C’est le cas de Du Givre sur les épaules de Lorenzo Médiano.

Bref roman, l’un de ceux encore où l’on a le sentiment d’entendre la voix de celui qui conte l’histoire. ''Un roman de conteur''. Ici, un instituteur vieillissant et désenchanté, qui sous sa croûte de peur, de soumission, de fatalisme, est encore habité par le souci de la vérité et l’amour de ceux qui ne renoncent pas.


Biescas de Obago est un petit village de la face sud des Pyrénées, où la vie est tellement âpre et austère que les relations humaines se sont établies depuis des siècles sur un ordre rigoureux et inébranlable : il y a les maîtres et les pauvres, les tiones et les secundones, ceux qui ont le droit de se marier et tous les autres, ceux qui sont à jamais voués au célibat. Il y a les bergers qui savent tout de la montagne, et qui servent les maîtres. Nulle place là-dedans pour l’amour. Les mariages sont affaire d’alliances entres familles, de réunions de biens et de terres. Le vieil instituteur anonyme a atterri là après des troubles politiques à Barcelone, il s’y est fait oublier, enseignant ce qu’il peut aux enfants qu’on lui confie jusqu’à ce qu’on les lui retire, grelottant en hiver et mangeant à peine à sa faim, tributaire des repas qu’on lui porte ou de ceux auxquels on veut bien le convier. Oublieux peut-être des idéaux de justice et d’égalité de sa jeunesse.

Jusqu’à ce que l’ordre sombre de la vie au village ait été tellement troublé qu’un journal, ailleurs, à Huesca, en ait parlé. Et qu’un enfant du village parti au loin en ait transmis l’article. Article si contraire à ce que le village veut entendre que la rumeur en dérègle la routine, et que l’instituteur est convoqué pour enregistrer, famille après famille et dans l’ordre des préséances, le témoignage de chacun. Témoignage mensonger, revu et infiniment corrigé tant la vérité est insoutenable.

Le roman est le récit véridique que fait l’instituteur, en tant que témoin privilégié – et parfois acteur marginal – de l’affaire qui a valu au village cette célébrité. Les amours de Ramón, le petit berger sans le sou, et d’Alba, la fille unique de don Mariano, dit le Chapon, l’un des plus riches – et stérile – propriétaires du village. Ramón chassé, mis au ban du village et hors-la-loi pour avoir désiré une fille qu’il n’avait pas le droit de regarder. Ramón devenu le Desesperado, le contrebandier le plus insaisissable, le plus acharné, le plus intraitable de la région. L’intrigue se passe dans les années 30, la situation politique est troublée, on passe aussi des armes à travers la montagne…

Mêlant érudition locale, ethnologie des Pyrénées aragonaises, et considérations sur la nature humaine, le roman conte sobrement cette histoire d’amour et de violence, de pouvoir et d’argent, de silence et de détermination. De haine. D’espoir.

C’est un très beau texte. Une histoire antique dans un monde d’hier, encore très proche. Le roman a été publié en Espagne en 1998.

On ne vit pas si mal que ça par ici. Il est vrai que les gens peuvent parfois se haïr avec une intensité effrayante, mais n’oubliez pas que Ramón et Alba étaient eux aussi des enfants de ces montagnes ; ils haïssent avec la même force qu’ils aiment, et quand un amour naît entre eux, il est si énorme que nous, les gens des villes plus pondérés, devons regarder ailleurs et rougir, bien qu’au fond nous souhaiterions aussi être capables d’aimer si éperdument.

 

Commentaires

1. Le vendredi, octobre 2 2009, 02:24 par hipparchia

juste une rectification: du givre sur les épaules a remporté le prix vivre livre en 2008 et non en 2009 :-)

2. Le vendredi, octobre 2 2009, 06:19 par hipparchia

ah et une autre rectification: les éditions de la ramonda ne sont pas "sises" à Limoges mais à Paris (même si elles ont à voir avec Limoges pour plusieurs raisons).

3. Le vendredi, octobre 2 2009, 11:32 par Agnès
Soit soit. Je ne sais pas où j'ai trouvé cette histoire de Limoges. Sur le volume ? Voici le lien avec le site : http://www.laramonda.com/ramonda1.htm Où l'on trouve l'explication du nom La ramonda, i.e. la fleur dite "oreille d'ours", petite fleur vive et robuste qui a résisté depuis le tertiaire.
4. Le dimanche, décembre 20 2009, 16:34 par nathalie

Je découvre à l'instant que tu as chroniqué Du givre sur les épaules. J'ai acheté ce livre l'an dernier après avoir lu un article dans Terres de femmes et je ne l'ai toujours pas lu. Sa jolie couverture bien en vue chez moi attendait un après-midi d'hiver! Il sera une de mes lectures des vacances. Je ne lirai ta chronique qu'après.
Bon noël chez toi.
Nathalie

5. Le dimanche, décembre 27 2009, 13:58 par nathalie

Soirée solo hier en pays basque espagnol avec le rebelle et fougueux Ramon. Un récit émouvant ;et haletant quand le héros entre en contrebande. Sa traversée du village, l'arme au flanc et sa détermination farouche ont la grandeur tragique d'une toile de Goya. J'ai beaucoup aimé le premier chapitre et la finesse pleine d'humour avec laquelle le narrateur brosse la cuistrerie d'un chef de casa riche.
J'ai recherché dans la revue Terres de femmes les notes sur ce bouquin. Rien trouvé. J'étais pourtant persudée que c'était là que j'avais entendu parler du roman. Sur un autre blog, via Terres de femmes sans doute.

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