Ian McEwan - Expiation. Chose promise...

Une fillette en proie aux affres et aux bonheurs de la création littéraire : c’est Briony Tallis, 13 ans, qui au cœur de la demeure familiale se bat contre le désordre ambiant pour tenter de mettre en scène idéalement sa première tragédie, Les Tribulations d’Arabella, composée dans la fièvre pour célébrer le retour home de son frère aîné – aimé – Léon.
Mais le monde extérieur – qu’elle observe de la fenêtre de sa chambre – résiste, opaque : sa mère migraineuse, sa grande sœur Cécilia, désordonnée et incertaine à l’issue de ses années d’université, les cousins jetés là par le divorce de leurs parents, trop rouquins pour incarner selon son cœur les sombres héros de son histoire, et Robbie, le fils de la femme de ménage, brillant étudiant protégé de leur père, leur presque-frère - que comprendre à ses complexes et conflictuelles relations avec Cécilia telles qu’elle les a espionnées autour d’un bouquet de fleurs champêtres, d’une précieuse faïence de famille et de la fontaine du parc ?
Pour avoir voulu intervenir dans la vraie vie et y restaurer l’ordre et la morale comme elle le faisait dans son univers imaginaire, Briony au nom vénéneux bouleverse le destin de ses proches, tandis que l’Europe se fissure à l’approche de la seconde guerre mondiale.

Composition virtuose – toute la première partie restitue quelques scènes majeures à travers le prisme de différents regards –, art ineffablement anglais – ô Virginia – de capturer des bulles de perfection ou d’horreur pure dans le mouvement chaotique de la vie, rigueur et précision minutieuse dans la restitution du moindre détail historique, personnages attachants savamment tissés entre eux … Briony devenue écrivain doit employer sa vie à réparer la catastrophe de ses treize ans en réécrivant, inlassablement, le roman de leurs vies.

La lecture d’Expiation est d’autant plus jubilatoire que le romancier y manifeste à l’égard de ses personnages une attention, une générosité, un amour en somme, qui leur confère une sorte d’indépendance, de liberté, et les laisse se déployer presque autonomes dans l’univers qu’il leur a composé. Tout le contraire de ce que fait Pierre Péju dans La Petite Chartreuse, évoquée plus haut dans ce blog. L’un enserre et suffoque progressivement ses personnages dans une toile qui ne ménage aucune issue, l’autre, et c’est semble-t-il le fait d’un long cheminement, leur laisse, en définitive, la bride sur le cou.

Je me régale à lire les romanciers anglais contemporains. On y trouve presque immanquablement liés le plaisir de se laisser porter par une histoire riche et prenante, des personnages consistants, incarnés, et un art de l’écriture – dialogues, style et composition - qui pour le lecteur cultivé laisse vibrer entre les lignes la présence des grands ancêtres que l’auteur s’est choisis, sans insistance, sans cette manière exaspérante qu’ont certains auteurs français de montrer qu’ils ont lu et digéré non seulement Flaubert-Proust-et-Céline, mais encore tout le structuralisme et la nouvelle critique, au prix bien souvent de la chair de l’histoire et des personnages …. Coe, Zadie Smith ou McEwan, facettes de la vie anglaise, regards sur le monde, romans vastes et variés, littérature réflexive certes MAIS discrète, brillante sans être clinquante ou desséchée, on en sort réjouis, titillés, rassasiés.

Pour en revenir à McEwan, j’ai lu depuis deux autres romans de lui, Amsterdam, grinçante anatomie de la lente décomposition d’une amitié sur les cendres d’une commune maîtresse morte : l’un est un musicien célèbre, l’autre un journaliste trouble sur le fil du rasoir. À la toute fin du roman, Amsterdam les réunit et clôt leurs piètres manœuvres égoïstes dans une grimace ricanante.

L’autre, L’Enfant volé (The Child in time), est une sorte d’étude centrée sur un père (auteur de romans pour enfants) que le vol de sa petite fille de quatre ans confronte à une absolue déréliction : il sombre sur tous les plans, personnel, amoureux, professionnel, dans un monde inquiétant où pour seule vie sociale, il se borne à fréquenter une commission destinée à réformer en profondeur l’éducation des enfants. En contrepoint, quelques rencontres troublantes avec un couple d’amis, elle égérie vieillissante et apaisante - et brillante physicienne, lui, politicien surdoué qui disparaît brutalement de la scène politique. Autour de la lente reconstruction de Stephen, le héros, une réflexion, en quelque sorte, sur « la texture du temps ». C’est un roman sombre et difficile, mais beaucoup moins amer qu’Amsterdam.

Prochaine lecture au programme, Samedi, son dernier roman. Les amies qui me l'ont fait découvrir m'en ont fait grand éloge. http://www.ianmcewan.com/

Commentaires

1. Le dimanche, août 26 2007, 10:17 par Agnès

Je vois qu'"Expiation" a été adapté pour l'écran. www.ianmcewan.com/

2. Le jeudi, septembre 6 2007, 12:42 par Agnès

Le film sort DEMAIN en Angleterre !
3. Le jeudi, octobre 4 2007, 08:54 par odile

C'est brillant, généreux en effet pour les personnages, quoiqu'un peu frustrant pour ce qui est du tour de passe-passe final. J'apprécie moyennement qu'on se joue de ma crédulité, qu'on me réveille brutalement avant la fin du rêve. Et c'est ce qu'il fait (j'ai encore envie de dire "elle", tellement j'ai cru à cette romancière-antihéroïne)... C'est sans doute pourquoi on peut dire que c'est bien ficelé!

4. Le samedi, août 16 2008, 13:01 par Amandine

Lors de notre rencontre à la librairie Pages d'encre tu m'avais invitée à lire ce livre... en ayant quelques uns en attente je l'avais conservé pour mes vacances...alors mon verdict est:.....GENIAL, je l'ai dévoré...emporté par le narrateur, suspendu à ses lèvres... et j'ai adoré la fin... elle donne envie de le relire en se mettant uniquement à la place de Briony et aussi en prenant le temps cette fois de peser chaque mot!!!

5. Le mardi, septembre 2 2008, 21:34 par Agnès
Bien contente de te compter parmi les adeptes de ce délectable roman. Le suivant t'attend ! C'est ma dernière note de lecture, et il sort la semaine prochaine.

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