La Petite Chartreuse de Pierre Péju.

Ça commence par le récit cinématographique de la façon dont la petite fille et la voiture du libraire vont se heurter irrémédiablement, avec les deux trajectoires au ralenti en quelque sorte : une image contemporaine du destin en marche. J’étais saisie, estomaquée - et bluffée, parce que c’est sacrément bien raconté. Aussi l’ai-je lu d’une traite, pour me sortir la tête de mes copies de bac pas très stimulantes. Eh bien, j’ai quitté ce bouquin avec une certaine colère et pas mal de frustration. À quoi bon tant de talent, des personnages si justement dessinés, si incarnés – surtout le libraire, cet homme si lourd dans son corps, son histoire, et l’immense mémoire de livres qu’il promène partout avec lui – pour finalement accumuler sur les trois personnages des avalanches de destin tellement inexorable que rien ne leur est plus laissé comme brève issue qu’une brève étreinte, une conjonction plutôt, sur un terrain vague, et chacun repart de son côté dans sa vie sans espoir, sans couleur, sans chaleur. De grandes claques de pessimisme obligé, à grands coups de taloche, comme on balance du ciment sur un mur. L’abus de pouvoir d’un romancier athée et tout-puissant, qui ne laisse pas plus de liberté à ses personnages – et à ses lecteurs – que le Dieu vengeur dont il a fait litière. Eh bien non. C’est trop. Docere peut-être, prenez-vous ça dans la gueule, la vie est une chienne, mais placere aussi : ce bouquin est torché, et l’attention portée par l’auteur à ses personnages, principaux et annexes, se dissout dans une toute puissance désinvolte. Manque de générosité. Du coup, c’est raté. Il fallait que je l’écrive. Ce n’est pas que je tienne au happy end. Mais une telle absence de compassion pour ses propres créatures, cela tient de l’imposture.

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