Joseph Boyden :'' Le chemin des âmes'' -

(Three-day road, Albin Michel. Avril 2006.)
Niska, vieille indienne Cree venue attendre à la gare Elijah, l'alter ego et compagnon de chasse de son neveu mort à la guerre de 14, voit finalement descendre du train le neveu lui-même, brisé, unijambiste, silencieux et morphinomane. Au cours du voyage de trois jours (d'où le titre anglais) qui les ramène en canoë sur leurs terres ancestrales, le roman tisse étroitement les deux voix : celle de Niska, qui tente de rattacher à la vie le jeune homme en lui contant leur passé familial et en lui rappelant leur vie de chasseurs avant le grand départ, et la voix intérieure de celui que les Indiens ont appelé Petit oiseau danseur, les blancs Xavier Bird, et ses camarades de bataillon X, parce qu'il est un tel tireur d'élite qu'on peut l'assimiler au X qui figure au centre des cartons de tir.


Déchiré physiquement et moralement, incapable de parler, le jeune homme revit mentalement la préparation militaire, le départ et les étapes de la guerre, en Belgique et dans le nord de la France. Douloureuse initiation à l'horreur quotidienne de la boue des tranchées, des pluies d'obus, des rats, des morts incessantes de camarades, mais aussi émergence du couple de tireurs qu'il constitue avec Elijah, et qui leur vaut la reconnaissance et l'admiration de tous, alliés et ennemis : Elijah, beau, séduisant, baratineur et débrouillard, Xavier silencieux jusqu'à l'insignifiance, quand on oublie son talent de tireur. Il est le guetteur qui assiste à la métamorphose que la guerre opère en Elijah, faisant de lui progressivement un passionné de meurtre, chasseur d'hommes, une sorte de "windigo", de mangeur d'homme, démon que les ancêtres "chamans" (le terme n'est jamais prononcé) de Xavier ont toujours dû anéantir.

Ce roman, d'un très jeune homme si l'on en juge par la photo sur la jaquette (très beau jeune homme d'ailleurs), est extrêmement documenté : la guerre y est évoqué avec un réalisme cru quoique sans complaisance dans l'horreur. Pour qui vit dans une région hantée par le souvenir de cet épisode de l'Histoire, c'est plus qu'une reconstitution soignée. L'expérience humaine y passe. Mais c'est aussi une très belle étude d'un couple de "frères", entouré d'une multitude de personnages tous dessinés de façon convaincante, de part et d'autre de l'océan. Quant à l'"histoire", on ne la lâche pas. (Dans ses thèmes comme dans son évocation des petits, et bien qu'il s'agisse de deux guerres différentes, Le chemin des âmes a fait écho pour moi au roman que j'ai évoqué plus haut, Ceux d'Arasolé. L'un très bref, l'autre vaste roman, mais tous deux justes et passionnants). Nouvelle manifestation des chemins communs qu'empruntent l'Histoire et le roman, le second donnant aux travaux des historiens la chair du romanesque, un siècle plus tard.

Je me permets d'ajouter ma voix pour le recommander à celles de deux écrivains populaires aussi divers qu'Isabel Allende et Jim Harrison, surprenante rencontre.

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