Littératures hispaniques

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lundi, avril 1 2013

Daniel Chavarria - La Sixième île

Il y a trois histoires qui se juxtaposent. L’une, la première, concerne la fondation dans les années 20 et l’expansion, commerciale puis très rapidement politique, de l’entreprise ITT (International Telephon and Telegraph), autour des ses deux premiers PDG Sosthenes Behn, puis Harold Geneen.

A cette histoire se rattache celle de Lou Capote, brillantissime homme d’affaires d’origine sicilienne, et pervers fétichiste qui ne peut trouver de plaisir qu’en arrachant à ses épouses puis aux prostituées qui leur succèderont un uniforme de collégienne, dans un bunker, devant une copie de la Mort de la Vierge de Mantegna.

La seconde est une autobiographie à la première personne, écrite par Bernardo, un orphelin, brillant élève des Jésuites, sous forme de longues lettres adressées à un certain Carlos, ou Carlitos, dont on découvrira par la suite qu’il s’agit du père Castelnuovo, qui fut son mentor dans sa jeunesse, et le reste, par correspondance, tout au long de sa vie.

La troisième est la confession écrite, adressée à partir de juin 1628 au moine dominicain frère Jeronimo de las Munecas par Alvaro de Mendoza, cadet de famille hispano-néerlandais devenu chevalier d’industrie, grand voyageur sur terre et sur mer, de l’Occident à l’Orient, gitan, voleur, assassin, pirate, polyglotte et érudit sans loi et avec quelle foi ?

Naturellement, le tressage de ces trois histoires apparemment sans lien a quelque chose de très surprenant, au départ, et puis on se laisse prendre à chacune d’entre elles, au fur et à mesure qu’elles prennent de plus en plus d’expansion, et qu’on se demande bien comment on va raccrocher les différents éléments. La confession d’Alvaro de Mendoza, par exemple, toujours plus picaresque, égare et dépayse le lecteur, qui ne manque pas cependant de s’aviser que les talents de rédacteur de feuilletons de Bernardo Pietrahita entretiennent quelque parenté avec le récit sus-évoqué, de même d’ailleurs qu’avec la propre inventivité débridée de Daniel Chavarria, l’Auteur soi-même ! Escroqueries de tout poil, enlèvements, espionnage, fictions enchâssées à tous les étages, il arrive que l’on s’y perde, et il me reste quant à moi quelques perplexités annexes, quant au rôle joué par exemple par l’ex-épouse de Lou Capote dans des développements que je n’évoquerai pas pour ne pas vendre quelque mèche que ce soit.

Retors, épique, roublard voire tortueux, érudit en diable (au passage, si je n’ai pas remis les yeux sur une citation  rencontrée en cours de lecture, je signale au traducteur que « le Mantouan » n’est certes pas un obscur poète du XIVe siècle, comme l’indique la note en bas de la page 437 mais Virgile soi-même, tout simplement), ce roman, écrit par un professeur de littérature classique d’origine urugayenne – comme Bernardo – devenu un cadre de la révolution cubaine après détournement d’avion ! – ma source est ici - mériterait de plus amples et plus subtils développements. Que je n’ai ni le temps, ni le cœur de faire, alors voici.

lundi, avril 18 2011

Carmen Laforet - Nada

Quel beau roman ! écrit et publié par une toute jeune femme de vingt-trois ans dans l’Espagne de l’après guerre civile. Qui a signé la renaissance du roman espagnol, nous dit la quatrième de couverture. Mais comme je ne connais rien du roman espagnol d’avant-guerre (seulement un peu la poésie et le drame), je vais m’efforcer de déchiffrer en quoi réside, pour moi, son charme intact.

 Une jeune femme, une ville, la mer, l’amour, l’amitié. Et les ruines d’une après-guerre. J’ai déjà chroniqué un livre sur un tel sujet. C’était La Baie de midi de Shirley Hazzard (1970). Mais alors que Jenny trouvait à Naples une indépendance et un arrachement propices à sa renaissance, Andrea, qui est toute jeune, revient dans la Barcelone de son enfance pour se faire saisir, enserrer, étouffer dans les ruines, le désespoir, la poussière d’une famille dévastée par les séquelles de la guerre civile. Toutes deux sont orphelines, mais si la première s’est détournée de son passé, la seconde s’y retrouve brutalement, inexorablement, plongée. Je ne vais pas revenir à La Baie de midi, mais il est étonnant de penser à quel point on retrouve dans Nada (au demeurant antérieur de 25 ans, et plus bref), le sentiment  de lire le « roman d’une âme ». Le regard de la narratrice égarée – et, en outre, affamée - qui filtre un réel instable, essaie de saisir, d’ordonner, de comprendre la complexité des relations entre les êtres. Très peu de choses donc, sinon l’éveil d’une personnalité et d’une indépendance dans le lacis des ruelles d’un port de la Méditerranée ponctué de jardins et d’antiques monuments : baroques à Naples, à Barcelone gothiques.

 L’action, si action il y a, multiple, sinueuse, déchiquetée en quelque sorte, s’organise autour de la place de l’Université, où débouche la rue Aribau. Tels sont les deux pôles de la vie d’Andrea, entre l’appartement familial livré à la misère, à la fureur, aux fantômes, et le lieu des études et des rencontres. Au fil du roman, la jeune fille gagne une forme de liberté, dans ses errances de part et d’autre de la Rambla, la grande avenue qui descend vers le port, entre le quartier gothique et le quartier chinois, deux lieux obscurs, labyrinthiques, et les espaces ouverts des jardins, du port, de la plage.

Les premières pages, toutes illuminées de la passion de vivre qui possède la jeune narratrice, voient brusquement leur charme brisé dès son arrivée nocturne au milieu d’une famille de spectres, qui aussitôt, s’emparent, ou tentent de s’emparer d’elle.

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samedi, avril 3 2010

Le Reste est silence - Carla Guelfenbein

C’est curieux comme parfois après une sorte de traversée du désert les livres viennent à nous (comme les gens). Non que ma crise de Balzac ait été inféconde, ni qu’elle soit terminée, mais Balzac, c’était il y a 150 ans et il ne faisait pas dans le dépouillement. Mais là, après Agus et Loe, je viens de lire coup sur coup deux beaux livres que l’on m’a offerts. Le premier, Ru, j’en parlerai après, puisque je suis ce matin sous le choc, et les larmes, de la lecture de Le Reste est silence de Carla Guelfenbein. Encore une de ces couvertures Actes Sud magnifiques, une curieuse photo où, sur une mer gris-bleu étale à peine griffée de frissons, fondue à l’horizon dans un ciel orageux, une silhouette d’enfant posée sur une barque semble contempler… un rocher ? un énorme quartier de lune tombé là comme un aileron lisse et minéral ou comme une voile luminescente étrangement détachée de la coque, et qui se reflète dans les eaux.

Le Reste est silence est un de ces romans d’où l’on ne peut pas s’arracher, polyphonie de voix, labyrinthe cabalistique, symboles, alphabet de signes pour les sourds, dessins d’enfant comme des graffitis incertains… il y a d’abord Tommy, enfant de 12 ans dans un corps de 8, le cœur malade, le MP3 toujours branché pour capturer les voix des adultes ou la sienne propre. Sa longue méditation autour de sa mère morte (Soledad), de son père silencieux, de sa belle-mère Alma, rousse et vive, attentive et tendre, proche et insaisissable elle aussi.

Trois voix donc : Tommy, Juan son père, et Alma. Et un lent cheminement dans l’incertitude et la douleur, éclairées par à-coups de menus éclats de joie. J’en suis sortie en larmes, mais sans désespoir. Rassérénée et reconnaissante.

dimanche, juin 14 2009

Du Givre sur les épaules - Lorenzo Médiano

C’est encore mon ami libraire Paul qui m’a conseillé la lecture de ce roman, que je n’eusse sans lui jamais rencontré, même s’il a obtenu le prix Vivre-Livre des lecteurs de Val d’Isère 2009. Jamais entendu parler en effet des éditions la ramonda sises à Limoges, et qui publient semble-t-il pas mal de traductions de l’espagnol.

C’est le cas de Du Givre sur les épaules de Lorenzo Médiano.

Bref roman, l’un de ceux encore où l’on a le sentiment d’entendre la voix de celui qui conte l’histoire. ''Un roman de conteur''. Ici, un instituteur vieillissant et désenchanté, qui sous sa croûte de peur, de soumission, de fatalisme, est encore habité par le souci de la vérité et l’amour de ceux qui ne renoncent pas.

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mardi, mai 15 2007

Crimes exemplaires, de Max Aub, Phébus Libretto.

 

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