Mot-clé - Du Maurier

Fil des billets - Fil des commentaires

dimanche, février 20 2011

Daphné Du Maurier - Les Oiseaux et autres nouvelles

Je ne sais pas comment ce petit livre est arrivé à la bibliothèque du lycée, ou plutôt comment les « documentalistes » - bientôt learning-center-girls ?  (dames-pipi des livres ?), pauvres d’elles, pauvres de nous ! -  ont eu l’idée de le commander, mais c’est une acquisition de choix : après Les Oiseaux, il y a eu Le Pommier, ou comment un veuf récent développe à l’égard d’un des pommiers de son jardin une violente hostilité et je ne vous en dirai pas plus - malaise garanti, et les autres nouvelles sont de la même force : Encore un baiser, Le Vieux (peut-être un peu artificielle, celle-là, mais efficace), Le Petit photographe, Mobile Inconnu. Il m’en reste une à lire, Une Seconde d’éternité, ce sera pour ce soir. Le style est sec, économe, et pourtant intensément suggestif. J’ai toujours adoré Du Maurier, Rebecca est un roman que j’ai lu et relu avec passion dans mon adolescence, (le film d’Hitchcock est une pure merveille d’empathie entre auteur, réalisateur et acteurs - Mrs Denvers !!!), L’Auberge de la Jamaïque un excellent roman noir, et ces nouvelles me donnent envie d’en découvrir plus sur l’œuvre de cette Dame énigmatique, petite-fille de Georges du Maurier, l’auteur de cette merveille onirique traduite par Queneau, Peter Ibbetson. Drôle de famille. Source et substrat sans doute de cet univers où le lecteur sur le qui-vive se laisse investir par cette inquiétante étrangeté.

lundi, février 14 2011

Les Oiseaux

Lu entre deux portes Les Oiseaux, la nouvelle de Daphné du Maurier qui a inspiré le film d’Hitchcock, avec en couverture la photo en noir et blanc de Tippi Hedren fuyant un danger qu’on ne voit pas, à peine suggéré par l’esquisse d’ombres noires autour de sa tête. J’avais vu le film, il n’y a pas si longtemps que ça : c’était l’un des Hitchcock qui manquaient à ma collection, et j’en avais été très déçue : les effets spéciaux avaient vieilli, et l’histoire m’avait paru brouillonne. Rien de tel dans le texte, qui justement, est une nouvelle, et se centre non  pas autour d’un couple « en formation » et d’une histoire un peu neuneu (telle elle est dans mon souvenir) d’« inséparables », mais autour d’un couple vivant à la campagne et de ses deux enfants. Le regard central est celui de Nat Hocken, ancien combattant et blessé de guerre (l’ombre de la guerre plane sur ce texte de 1953), qui vit à la campagne et travaille dans une ferme. Un type sensible et attentif à la nature. L’incipit est un modèle de sobriété : « Le 3 décembre, le vent changea pendant la nuit et ce fut l’hiver. Jusque là, l’automne avait été mol et doux. Les feuilles s’attardaient sur les arbres, rousses et dorées, et les haies restaient vertes. La terre labourée était grasse. »  Fin du paragraphe, et déjà presque fin d’un monde ancien, lisible. (La traduction de Denise van Moppès est excellente). Loin des scories sentimentales du film d’Hitchcock, la narration (46 pages en Livre de Poche, les bons vieux vrais Livres de Poche auxquels je suis restée attachée pour ce qu’ils m’ont ouvert comme merveilles littéraires dès l’enfance) oscille entre le vaste déploiement du paysage de la presqu’île et le huis clos obscur de la maison barricadée et pourtant de plus en plus étroitement investie par la menace grouillante des oiseaux même les plus familiers, rouges-gorges, moineaux, roitelets… L’angoisse naît de ce que l’intrigue se concentre au cœur d’une famille, et de l’impuissance possible du couple à protéger ses enfants. De leur isolement croissant, du silence grandissant du monde humain alentour. Le début d’« un hiver noir, pas blanc », d’autant plus terrifiant que suspendu, évoqué dans un style rigoureusement classique.

Édouard Manet - Illustration pour Le Corbeau, d'Edgar Poe (détail)

vendredi, juillet 27 2007

Le monde infernal de Branwell Brontë, de Daphné du Maurier, chez Phébus.

À moi fourgué par ma jeune libraire, qui connaît ma passion pour les romans de trois sœurs, en particulier pour Jane Eyre et Les Hauts de Hurlevent . Le bouquin date de 1960.


L'auteur, romancière de talent, dont deux ouvrages au moins ont enflammé mon adolescence : Rebecca - qui a inspiré le film de Hitchcock - et L' auberge de la Jamaïque (lui aussi source d'un film paraît-il médiocre du même, et que je n'ai pas vu), deux apothéoses de littérature romanesque au meilleur sens du terme, l'auteur donc, - elle-même issue d'une famille de créateurs qui ont côtoyé en la personne du sinistre Barrie (Peter Pan) un génie noir et destructeur -, tente, à travers lettres, juvenilia et biographies, de reconstruire le personnage de Branwell Brontë, le frère "maudit", d'analyser la nature de son génie, et la façon dont, de la création frénétique dans l'enfance à l'impuissance de l'âge adulte, sa déchéance a nourri et peut-être porté au jour la créativité de ses sœurs. C'est très documenté, irrigué tout du long par de larges extraits des poèmes (que l'éditeur a eu la courtoisie de citer en anglais avant d'en donner la traduction), de récits du Royaume d'Angria, c'est attentif et plein de sympathie. La figure de Branwell, le visage effacé par sa propre main du portrait qu'il avait exécuté de ses sœurs et de lui-même, y est dessinée avec conviction et humanité, de l'enfant feu follet, rouquin, myope, surdoué et tourmenté au petit homme adulte, incertain, velléitaire, épileptique et mythomane, alcoolique et opiomane, étouffé par l'atmosphère religieuse et féminine du presbytère de Haworth.

C'est passionnant. On y voit évoluer les trois sœurs, le père, la tante-mère, en filigrane de Branwell, figure centrale de la famille et du récit, et âme des torrentielles aventures inventées collectivement par les quatre enfants. Branwell, créateur du Royaume d'Angria et de Sir Alexandre Percy dit Northangerland (que de colère dans les noms!), héros de roman noir, débauché, satanique et tout-puissant, roi, pirate, et séducteur. Branwell, coauteur à l'origine des Hauts de Hurlevent , Branwell dont les sautes d'humeur et les excès, mêlés à ceux de son héros, ont nourri les sombres personnages masculins des romans de ses sœurs.
Le titre n'est pas terrible, mais c'est Branwell et Charlotte eux-mêmes qui avaient donné ce nom à leur royaume imaginaire. Et l'œuvre met en scène sous nos yeux une étrange histoire de fraternité créatrice partagée d'abord par les quatre enfants, d'imaginaire commun d'où a émergé une œuvre multiple et pleine d'échos, univers de mort et de souffrance qui a fini par offrir aux sœurs l'indépendance et la maturité de leurs voix propres, tandis que le frère y perdait peu à peu son génie et sa vie. Une singulière réflexion sur la lente et douloureuse destruction d'un talent trop tôt éclos, qui n'a pu trouver sa place ni parmi les siens, ni dans le monde.