Le monde infernal de Branwell Brontë, de Daphné du Maurier, chez Phébus.

À moi fourgué par ma jeune libraire, qui connaît ma passion pour les romans de trois sœurs, en particulier pour Jane Eyre et Les Hauts de Hurlevent . Le bouquin date de 1960.


L'auteur, romancière de talent, dont deux ouvrages au moins ont enflammé mon adolescence : Rebecca - qui a inspiré le film de Hitchcock - et L' auberge de la Jamaïque (lui aussi source d'un film paraît-il médiocre du même, et que je n'ai pas vu), deux apothéoses de littérature romanesque au meilleur sens du terme, l'auteur donc, - elle-même issue d'une famille de créateurs qui ont côtoyé en la personne du sinistre Barrie (Peter Pan) un génie noir et destructeur -, tente, à travers lettres, juvenilia et biographies, de reconstruire le personnage de Branwell Brontë, le frère "maudit", d'analyser la nature de son génie, et la façon dont, de la création frénétique dans l'enfance à l'impuissance de l'âge adulte, sa déchéance a nourri et peut-être porté au jour la créativité de ses sœurs. C'est très documenté, irrigué tout du long par de larges extraits des poèmes (que l'éditeur a eu la courtoisie de citer en anglais avant d'en donner la traduction), de récits du Royaume d'Angria, c'est attentif et plein de sympathie. La figure de Branwell, le visage effacé par sa propre main du portrait qu'il avait exécuté de ses sœurs et de lui-même, y est dessinée avec conviction et humanité, de l'enfant feu follet, rouquin, myope, surdoué et tourmenté au petit homme adulte, incertain, velléitaire, épileptique et mythomane, alcoolique et opiomane, étouffé par l'atmosphère religieuse et féminine du presbytère de Haworth.

C'est passionnant. On y voit évoluer les trois sœurs, le père, la tante-mère, en filigrane de Branwell, figure centrale de la famille et du récit, et âme des torrentielles aventures inventées collectivement par les quatre enfants. Branwell, créateur du Royaume d'Angria et de Sir Alexandre Percy dit Northangerland (que de colère dans les noms!), héros de roman noir, débauché, satanique et tout-puissant, roi, pirate, et séducteur. Branwell, coauteur à l'origine des Hauts de Hurlevent , Branwell dont les sautes d'humeur et les excès, mêlés à ceux de son héros, ont nourri les sombres personnages masculins des romans de ses sœurs.
Le titre n'est pas terrible, mais c'est Branwell et Charlotte eux-mêmes qui avaient donné ce nom à leur royaume imaginaire. Et l'œuvre met en scène sous nos yeux une étrange histoire de fraternité créatrice partagée d'abord par les quatre enfants, d'imaginaire commun d'où a émergé une œuvre multiple et pleine d'échos, univers de mort et de souffrance qui a fini par offrir aux sœurs l'indépendance et la maturité de leurs voix propres, tandis que le frère y perdait peu à peu son génie et sa vie. Une singulière réflexion sur la lente et douloureuse destruction d'un talent trop tôt éclos, qui n'a pu trouver sa place ni parmi les siens, ni dans le monde.

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