Dubuffet- Bettencourt "Poirer le papillon"

(…) La nouvelle de votre venue probable en janvier nous enchante. Excusez mon erreur d’interprétation sur votre conversion, je comprends peu à ces choses. Vous voici donc déconverti. Moi, je songe à me convertir au paganisme, je vais me faire baptiser. Peut-être par un nègre. Dans une grotte.

Amitiés

Jean

Petit fragment de ma lecture toute fraîche de « Poirer le papillon », lettres de Jean Dubuffet à Pierre Bettencourt, éditions Lettres Vives, 1987, jolis petits bouquins aux pages un peu épaisses et non-coupées !!!! plaisir retrouvé de les fendre d’un coup de lame - quatre en haut, puis quatre en haut et sur la tranche - au fil d’une lecture plus intensément rendue à la découverte. Le titre, pour moi à la limite du sens, me tarabustait : « Poirer » était-il un nom de papillon ? ou quelle action étrange désignait-il ?. Il apparaît que le verbe « poirer », d’origine argotique, signifie « arrêter, emprisonner », et qu’il désigne pour les chasseurs de papillons – au moins pour Dubuffet et Bettencourt qui le furent de conserve – l’action de saisir « au vol, vif encore », un papillon.

Je cite l’

EN –TÊTE
(tant qu’on en a encore une)

 En présentant cette correspondance de Jean Dubuffet, qui se suffit très bien à elle-même, mon premier souci est de ne pas trop en rajouter. J’évoque donc simplement ce « Bal des Ardents » ou comme il dit « ce fascinant site empapillonné de Chaillol » où notre amitié a pris si gentiment son cours. Cours d’eau, cours rafraîchissant où nous avons bu tous les deux de temps en temps un verre pendant ces trente-cinq ans d’explorations et de découvertes, où de loin en loin, sur des courbes bien différentes, nous nous sommes furtivement fait signe. Mots écrits au vol, vifs encore et où l’on a la perception d’une vie.

Je souhaite au lecteur de les poirer avec le même plaisir qu’ils nous ont donné, et je ne vois rien de mieux à lui offrir au moment de « le » quitter que le rire, ce rire de Jean Dubuffet, qui absout si joyeusement toute chose (et d’entrée, le papillon mort est ressuscité dans nos mains) de la relative erreur d’avoir été.

P. B.

Septembre 1986

P.S. « Poirer le papillon » veut aussi dire (cela va sans) que dans la vie, il y a une minute de grâce pour que les choses soient ou ne soient pas. Cette minute, qui sut mieux que Jean Dubuffet, à travers la fièvre de tant de griffonnages, l’attraper au vol – la « poirer ». Et qui sait, ce « flambé » de la belle époque, Dubuffet lui-même, se trouve-t-il, dans les mailles légères de ces lettres, pris sur le vif, incomparablement poiré.

Ben oui. C’est même drôle, à quel point mes lectures se font signe : Dubuffet est  né au Havre en 1901, deux ans avant Queneau, qu’il fréquenta amicalement au Collège de Pataphysique. Et la lecture de ce mince opuscule de lettres si familières et affectueuses donne envie de côtoyer de plus près le personnage, et l’œuvre, ainsi que le chemin que la sienne et celle de Pierre Bettencourt firent de concert, plastique et éditoriale, et qui semble, à vagabonder sur la toile, si massivement ignorée. Moi, je RÊVE de voir des éditions originales de Bettencourt. Plu kifekler mouinkon nivoua, par exemple. Mais aussi Artaud, Michaux…. Fragments de cette belle histoire du livre « de dialogue » qui, aujourd’hui encore, se poursuit.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?trackback/278

Fil des commentaires de ce billet