Queneau, Queval, Jouet, Homais

Il neige tant – il a tant neigé – qu’à quoi bon sortir. Même pas entretenir ce blogue pour cause de panne Orange – qui n’en a cure, un délai de trois jours complets pour réparation ne leur paraît en rien illégitime -. D’où le côté différé de cette note.

Aussi, outre quelques activités culinaires et ménagères, ai-je lu, assez frénétiquement. Zazie d’abord, que j’envisageai de faire passer de lecture délectée de mes quinze ans puis quelques autres années ultérieures à « objet-d’étude-le-roman » selon les termes éducationnationaux. Donc achat de l’édition ‘‘Folio plus’’ avec commentaires (et notes) et emprunt à la BM d’un Cahier de l’Herne, pas encore ouvert, du « Poètes d’aujourd’hui » (ô regrettée petite collection carrée de chez Seghers source d’inépuisables découvertes de mes mêmes quinze ans et au-delà !) par Jean Queval collègue oulipien de Queneau et enfin un Raymond Queneau de Jacques Jouet à la Manufacture, lesquels trois ouvrages me conduisent à cette note sur des ouvrages critiques, pas si fréquentes ici.

C’est que la première, de lecture, le Zazie à destination des scolaires, m’a tellement agacée que j’en ai zébré des passages entiers.

            Passons sur les notes  à vocation pédagogique qui éclairent – soit – tel terme démodé ou élucident jusqu’à l’ennui tel calembour mais pas tel autre (pourquoi ? distraction ? flemme ? ignorance ? défaut de méthode à coup sûr car on fait méthodiquement ou on ne fait pas). Mais alors l’étude ! Ou comment faire entrer Queneau dans de jolis tiroirs préformatés par les programmes de l’Education nationale et quelques grilles sommaires de lecture (y compris suggérées par Queneau soi-même), au mépris de toute lecture herméneutique du texte qui en ressort absolument désenchanté. L’interprétation psittaco-analytique (merci Turandot) du métro comme ventre maternel d’où Zazie après réimmersion émergera vers l’âge adulte !!!! c’est inepte. Le métro, ça serait plutôt un intestin, si je peux me permettre une remarque, dans ce roman à l’incipit puissamment olfactif et à la clausule si obstinément anale, de la part d’un auteur qui dans Chêne et Chien dit crûment ses obsessions sodomites (et telle est bien aussi la question que pose Zazie à Gabriel, n’est-ce pas ?). Autrement dit, on pioche dans le roman et dans l’œuvre quelques éléments pertinents que l’on détourne pour les faire coller à un propos prémâché, prédigéré, insipide et aplatisseur. (Pourquoi Pedro-Surplus alias Trouscaillon  - le trousseur de petit(e)s cailles, au passage -, alias Aroun Arachide ^^ serait-il la figure de l’auteur dans le texte ??? Faudrait au moins expliciter !). Ce critique est un être plat, un philistin, un Homais, et que dire de la malhonnêteté de prétendre dans la bio que Queneau a perdu la foi vers l’âge de  vingt ans, en faisant mine d’ignorer l’existence du Journal !

Heureusement j’ai attrapé juste après le Queval (70 revu de 60), et le Jouet (89), et là, quel bonheur ! de Queval, parfois allusif, dans une syntaxe très aragonienne ai-je trouvé, mais nourri de la lecture assidue de l’œuvre et d’une réflexion originale et méthodique sur la création littéraire, j’ai tiré un vaste, élémentaire et fécond schéma de l’histoire du roman en trois temps : primitif, impressionniste, délibéré, démarche quenellienne en diable, une réflexion sur prose et vers d’Homère à Queneau, sur la langue, sur la « compassion hilare » que cet auteur communique à ses lecteurs, et sur la nature de son humour - où j’appris la détestation de Queneau pour l’humour noir cher à « Dédé » (Breton), son passager beau-frère.

Première lecture stimulante, donc, à laquelle le Jouet a apporté un second souffle fécondateur. Jouet, j’en connais la voix depuis des lustres, c’est l’un des plus fidèles Papous dans la tête, un type brillant, parfois grinçant, dont j’adore entre autres un « exercice de style » sur un texte de Chaval, En avoir gros sur la patate, une version Tchekov en trois ? actes étouffés sous la neige, justement, que l’on trouve dans le CD qui accompagne le premier volume de l’Anthologie des Papous et des Décraqués - et dont j’ai détesté il y a quelques années un ComédiZ spirituellement rebaptisé ComédiX par mes élèves, laborieux exercice théâtral qui, pour avoir ignoré le suggestif avait « permanenté » l’obscène (copyright Zazie dans un passage non retenu). Eh bien Jouet critique ou herméneute de Queneau, c’est un plaisir ! outre les affectueuses variations suffixales sur l’adjectif dérivé du nom propre : quenéen, quenien, quenellien (mon préféré), quenouillard !! pour définir l’OuLiPo comme « la famille quenouillard » ;-D … outre lesdites variations donc, le texte est composé en chapitres analytiques et « intermèdes » lumineux comme celui intitulé « Rire », et offre au lecteur une rigoureuse et suggestive réflexion sur l’œuvre dans sa cohérence (y compris sur cette « face » osscure et « maladive » du Q et de la sodomie - car le lien entre le Q initial et  « la clausule zazique » m’est venu en lisant Jouet justement !). C’est de la critique selon mon cœur, rigoureuse, fondée en recherche personnelle, filiale et confraternelle tout ensemble. De la critique créative, qui ouvre des fenêtres et laisse des perplexités à foison. De la critique d’un amoureux de la littérature, qui éclaire dans l’œuvre passion des fous et des nombres, réflexion sur le roman comme poème (que l’on trouve déjà dans le « Système figuré des connaissances humaines » qui ouvre l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, m’étonnerait que l’encyclopédiste Queneau l’ait ignoré !), sur la circularité et la variante, sur le jeu. La dimension singulière et universelle de Queneau s’en trouve éclairée, sans réduction académique. « La règle de plaire et la règle de penser », c’est le titre du premier chapitre, c’est vrai autant pour Queneau que pour ce volume, dont je recommande à tous les amateurs la lecture.

Sur mon étagère, Queneau précède sans transition Rabelais. Heureux voisinage.

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