James Lee Burke - Dans la Brume électrique avec les morts confédérés

In the Electric Mist with Confederate Dead. C’est un si beau titre ! On comprend que Bertrand Tavernier l’ait raccourci pour ne pas encombrer l’affiche, et parce que cet hémistiche sonne beau et étrange. Mais pourquoi diable Rivages a-t-il jugé bon de perpétuer cette amputation pour le roman, en précisant en page intérieure quel était l’ « ancien titre ». Ce n’est pas l’ancien titre, c’est le titre tout court ! tout long plutôt d’ailleurs. Le lecteur a beau être stupide, avec le portrait de Tommy Lee Jones en couverture, il doit pouvoir comprendre que l’un est la transposition de l’autre ! Autre regret, puisque je commence par râler : je pense qu’il serait opératoire d’avoir une carte des lieux, et quelques notes plus fournies que les rares que fournit l’édition sur le lexique spécifiquement local : la musique zydeco par exemple, ou le style bottleneck, ou ce que Burke entend par une tête d’huile (une huile ? or what else ?), un mélia ou même un bayou, tout le monde ne sait pas ce que c'est, sans parler des Dr Pepper que boit Dave Robicheaux et dont je suppose qu’il s’agit d’une boisson non alcoolisée puisqu’il a arrêté de boire, mais mes connaissances en cette matière sont minces, et sans doute ne suis-je pas la seule ? Brèfle. Ayant fini de ronchonner je peux dire à présent que ce roman est encore plus beau que le film, dont il éclaire quelques zones obscures (il a dû être difficile de concentrer l’extrême complexité de l’intrigue). Or le film est absolument magnifique, et Bertrand Tavernier est précisément en ce moment où j’écris en train de parler de la musique extraordinaire, angoissante, dissonante composée par Marco Beltrami pour son film, et qui rend de façon tellement lancinante l’atmosphère de cette Louisiane obsédée d’Histoire, de catastrophes et de crimes.

Je ne sais s’il faut conseiller d’aller voir le film d’abord, ou de commencer par le roman. C’est dans l’ordre film-roman que pour ma part j’ai découvert l’œuvre. Et pour une fois, on n’a pas le moindre sentiment de trahison, tant Tavernier, et semble-t-il Tommy Lee Jones soi-même ont veillé au moindre détail : accents, musiques, lieux, lumière, atmosphères….

Quelques mots de l’histoire quand même. Elle tisse le passé, les passés de Dave Robicheaux, le flic de New Iberia, gamin du pays, témoin dans sa première jeunesse du lynchage d'un nègre sur le bayou, ancien de la guerre de Corée, veuf douloureux d'une femme assassinée, alcoolique émergé grâce à la fraternité des Alcooliques Anonymes (ce n'est pas la moindre étrangeté de ce roman que de faire comprendre que les AA ne sont pas seulement une entreprise moralisatrice, mais un lieu de fraternité entre naufragés de l'existence), époux et père attentif, homme généreux et désabusé, avec les passés de l'Amérique, et de la Louisiane en particulier : d'où le surgissement du général confédéré unijambiste, avec son uniforme gris, ses blessures béantes et sa jambe de bois, qui, apparu d'abord à l'acteur principal d'un film en cours de tournage sur la Guerre de Sécession, une tête brûlée, va venir hanter Dave à son tour. Fantômes, fantasmes ?, se mêlent familièrement à la réalité glauque et humide des bayous, à la végétation luxuriante, aux ordures et aux cadavres récents ou ressurgis. Réalisme, et fantastique. S’ajoutent à ce contexte quelques meurtres particulièrement atroces de jeunes femmes paumées, le retour au pays d’un chef mafieux brutal et baiseur qui répond au nom ambigu de Julie « baby feet » Balboni, le tournage du film, et l’arrivée d’une jeune femme agent du FBI elle aussi habitée de très lourds souvenirs.

Il y a de très belles descriptions des paysages, des ciels, des pluies, des variations de l’atmosphère. Une étude subtile des caractères et des hantises de uns et des autres. Une intrigue complexe et sans défaut, une polyphonie de voix, d’accents, de modes d’expression, de musiques, de dialogues. C’est très écrit, et puissamment oral. Habité par le sens du tragique de l’existence humaine, par la présence au cœur des destins individuels de l’histoire collective et du passé familial, ce thriller métaphysique offre une réflexion pénétrante sur le bien, le mal, la rage et le pardon.

Commentaires

1. Le jeudi, mai 14 2009, 11:27 par Florence, cornac où es-tu?

A ta question, ma chère Agnès, "faut-il conseiller d’aller voir le film d’abord, ou de commencer par le roman?" je ne saurai répondre...puisqu'en l'occurence, ayant vu le film, une certaine déception ne m'incite guère à me tourner vers le roman, dont tu rends pourtant avec beaucoup de sensibilité l'atmosphère si embrumée des marais, brume qui selon moi a peu à peu envahi ma compréhension de la trame narrative.
Certes, je fus aussi sensible à ce halo historique, psychologique, musical qui habite le film, mais la complexité ambiante qui en résulte a quelque peu atténué ma curiosité quant au texte originel. Peut-être, piquée par ton regard sur l'oeuvre, tenterais-je prochainement l'immersion dans les marais du texte?
à bientôt,
Florence M.

2. Le jeudi, mai 14 2009, 12:45 par Agnès

Désolée, Florence, que tu aies calé. On va donc conseiller le roman avant le film !^^

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