jeudi, décembre 22 2011

Une bouffée de Milosz triste

Un lecteur qui signe Zébulon me fait découvrir ce beau et sombre poème de Milosz, dédié à Laurent Terzieff, disparu l'an dernier. Le voici offert à tous:

L'étrangère

(En hommage à Laurent Terzieff)

Tu ne sais rien de ton passé. Tu l'as rêvé,
- Oui, sûrement tu l'as rêvé.
Je vois ton visage dans la lumière grise de la pluie.
Novembre ensevelit le paysage et ma vie.
Je ne sais rien, je ne veux rien savoir de ton passé.
Tes yeux me parlent de brumeuses villes lointaines
Que je ne verrai jamais
Et dont jamais je n'entendrai le son dans ta voix.
Novembre est sur toute mon âme,
Novembre est sur toute la plaine.
Je te vois inconnue à travers Autrefois.
Ce sont des choses depuis longtemps mortes,
- Mortes irrémédiablement -
Des musiques étouffées, des luxures flétries.
Je suis sûr que novembre est derrière la porte.
Je vois vivre en ton cœur ce que ton cœur oublie.
Ton âme est loin, bien loin d'ici. Ton âme étrangère
Est une nuit de brume,
De brume et de bruine sale sur les faubourgs
Où la vie a la couleur froide de la terre,
Où des hommes mourront, sans avoir connu l'amour.

Oscar Vladislas  de Lubicz Milosz (1877-1939) - Les Sept Solitudes (1906).

dimanche, novembre 22 2009

Oscar Vladislas de Lubicz Milosz - Karomama

Lorsque j'étais élève de 4ème 3, au lycée Montgrand à Marseille, blouses greiges et noms brodés sur le plastron, dans la classe d'Andrée Ferrier à qui je dédie avec affection ce souvenir, nous avions pour manuel de français Plaisir de Lire, par Jean Géhenno. Couverture de toile grise, je crois, et une moisson de textes qui faisaient surgir des mondes. Pêle-mêle, la Tête de faune, de Rimbaud, l'évocation par Antonio du bain dans le fleuve qu'il rêve de faire prendre à l'aveugle Clara, c'est Le Chant du monde de Giono, la scène où Catherine bat du tambour dans Mère Courage, scène lue avec passion, et je le crains, guère de distanciation - à laquelle par sa puissance dramatique elle échappe me semble-t-il encore aujourd'hui. Il y avait les images aussi, Catherine en noir et blanc sur le toit de sa roulotte (mise en scène Jean Vilar ? Photo d'Agnès Varda ?), une tête de faune, et les bras tendus à angle droit de la Petite reine Karomama qui me revient comme une bouffée de beauté mélancolique, et que voici.
C'est un poème d'Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, poète lithuanien d'expression française, dont le nom, un décasyllabe, est une bouffée d'exotisme sonore.
Je l'ai peu lu, mais ce poème chante encore en moi, et je ne sais où j'ai perdu dans la maison, ou prêté, le délice que furent les Contes Lithuaniens, aux éditions André Sylvaire, avec cette délectable histoire du hérisson qui devint roi des sangliers sous le nom de Qui s'y frotte s'y pique 1er !:D
 En attendant, voici le poème, issu du recueil Les Sept solitudes :

 

 

Mes pensées sont à toi, reine Karomama du très vieux temps,
Enfant dolente aux jambes trop longues, aux mains si faibles
Karomama, fille de Thèbes
Qui buvais du blé rouge et mangeais du blé blanc
Comme les justes, dans le soir des tamaris
Petite reine Karomama du temps jadis.

 

 

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