« Elle était professeur maintenant, sa thèse consacrée à Lucrèce était un objet relié, publié, apprécié par une poignée de spécialistes, mais ce qui continuait à lui donner plus de satisfaction que tout le reste, c’était ces heures laborieuses et solitaires. Depuis ses quatorze ans, le latin avait exercé sur elle une fascination addictive, chaque ligne de texte était une pièce de puzzle sur laquelle elle se penchait jusqu’à en trouver la place. Le savoir qu’elle avait lentement accumulé, le vocabulaire, les déclinaisons, la syntaxe d’une langue disparue mais si présente dans son cerveau avaient pris une dimension sacrée : le medium qui permettait de ramener à la vie un monde qui avait péri. »
J’ai souri de complicité à ces quelques lignes rencontrées de façon somme toute inattendue au détour d’un séjour à Rome d’Hema, l’héroïne de la dernière longue nouvelle de Jhumpa Lahiri. Sur une terre étrangère, c’est le titre français pas si satisfaisant de ce recueil intitulé en anglais Unaccustomed Land, expression empruntée, comme le dévoile l’épigraphe, à l’introduction à La Lettre écarlate de Nathaniel Hawsthorne, et où il est question de pommes de terre.