Jhumpa Lahiri - Sur une terre étrangère

« Elle était professeur maintenant, sa thèse consacrée à Lucrèce était un objet relié, publié, apprécié par une poignée de spécialistes, mais ce qui continuait à lui donner plus de satisfaction que tout le reste, c’était ces heures laborieuses et solitaires. Depuis ses quatorze ans, le latin avait exercé sur elle une fascination addictive, chaque ligne de texte était une pièce de puzzle sur laquelle elle se penchait jusqu’à en trouver la place. Le savoir qu’elle avait lentement accumulé, le vocabulaire, les déclinaisons, la syntaxe d’une langue disparue mais si présente dans son cerveau avaient pris une dimension sacrée : le medium qui permettait de ramener à la vie un monde qui avait péri. »

J’ai souri de complicité à ces quelques lignes rencontrées de façon somme toute inattendue au détour d’un séjour à Rome d’Hema, l’héroïne de la dernière longue nouvelle de Jhumpa Lahiri. Sur une terre étrangère, c’est le titre français pas si satisfaisant de ce recueil intitulé en anglais Unaccustomed Land, expression empruntée, comme le dévoile l’épigraphe, à l’introduction à La Lettre écarlate de Nathaniel Hawsthorne, et où il est question de pommes de terre.

Il y a cinq nouvelles dans ce gros livre à couverture rose vif (ça fait peut-être Bollywood, mais je ne raffole pas, d’autant moins que la couverture porte une belle photo en très gros plan du – ravissant – visage de l’autrice, en rose c’est bizarre, kitch, assez), dont la dernière, Hema et Kaoushik est une « novella » d’une centaine de pages en trois parties : Une seule fois dans toute une vie (voix d’Hema), Fin d’année (voix de Kaoushik), Lame de fond (voix de la narratrice).
J’adore lire Jhumpa Lahiri. Je lui trouve un très grand talent, dès son premier recueil L’Interprète des maladies ici-même chroniqué. Depuis, j’ai lu récemment son roman Un Nom pour un autre (The Namesake) – dont le héros, et c’est là sa question, répond au nom improbable de Gogol Ganghuli, et dont la quatrième de couverture résume l’intrigue de façon totalement erronée !!!! ? - vu et aimé le film qu’en a tiré Mira Nair (2006).
Ce sont toujours des histoires d’exil, ou plutôt, de déracinés. Indiens de la diaspora entre Inde, États-Unis et Europe, brillants intellectuels et savants bizarrement « détachés » de la vie, mariages arrangés et mariages d’amour, couples indiens et couples mixtes, cuisine traditionnelle et plats préparés, saris et pantalons, douleur des familles d’exilés dont parents et enfants découvrent qu’ils ne sont plus du même monde sans que les seconds sachent vraiment auquel ils appartiennent.... il est toujours question d’amour, dans ces histoires, et de souffrance aussi, souffrance perplexe, en quelque sorte. On y voit se dessiner des destins, en couple ou dans la solitude. On en quitte les personnages à regret, parce qu’ils sont toujours si puissamment campés qu’on en devient familiers parfois en quelques lignes. Récits de l’exil et du cosmopolitisme, incarnés dans une forme romanesque classique et inventive, y a-t-il un sujet plus crucial dans le monde d’aujourd’hui ?
C’est chez Robert Laffont, Pavillons. Un Nom pour un autre et L’Interprète des maladies sont respectivement chez 10/18 et chez Folio.

Commentaires

1. Le samedi, juillet 17 2010, 11:03 par Evelyne

Un extrait de cet auteur est "tombé" au bac d'anglais des terminales ES/S LV1. Les élèves et les professeurs correcteurs n'ont pas du tout apprécié ce texte tiré d'une nouvelle intitulée "A Choice of Accomodation" dans le recueil Unaccustomed Earth (pas Land). Une question portait sur le lieu de naissance du personnage principal, Amit et nécessitait pour répondre une lecture très précise du texte. Pour la première fois dans l'histoire du bac, des groupes Facebook se sont constitués le soir même de l'épreuve pour rassembler tous les élèves furieux contre cet Amit. Voici un échantillon des groupes aux noms les plus recommandables :
"Après le scandale Anelka, l'affaire d'Amit l'Indien"
"Un indien dans la ville, AMIT ?"
"Amit , Notre Ami du Bac d' Anglais "
"Lacher le bac et partir vivre à Langford avec Amit ! "
"Vendre des T-shirts : "Amit, t'es mort" et faire fortune "

"Amit, le connard qui est né à la fois en Inde et aux USA".

Votre article me réconcilie un peu avec cet auteur et je vais sans doute regarder le film "The Namesake" dont l'acteur principal Kal Penn jouait un interne (Lawrence Kutner)dans la série télé américaine Docteur House.

2. Le samedi, juillet 17 2010, 11:37 par Agnes Orosco

Oui ! j’ai vu en surveillant

1)      que je devenais une spécialiste du CR de textes-tombant-au-bac (généralisation certes abusive, au bout de deux – il y a eu aussi un extrait, pas beaucoup plus pertinent, de On Chesil beach,  je ne sais plus quand, je ne sais plus où -).

2)      Que les élèves s’étaient massivement trompés pour autant que j’aie pu lire leurs réponses. En même temps, je trouve si désolantes ces questions de « repérage », et le fait que les sujets de bac semblent si manifestement tournés vers, comment le dire, les questions de « métissage » de façon si conformiste ! il me semble que le sujet était analogue, je ne sais plus, en allemand peut-être ?

Quoi qu’il en soit, cet extrait ne donnait absolument aucune idée ni de la nouvelle elle-même, ni du recueil ! et vraiment Jhumpa Lahiri est un auteur que je trouve infiniment passionnante, inventive, profonde et émouvante.

 

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