Biaux chires leups....

La lecture de La Fontaine, c'est un bonheur de tous les instants. Cette vivacité du récit, cette fluidité du vers libre (classique !) qui coule parfois comme de la prose, le naturel d'un propos tellement élaboré, les dialogues de cette « ample comédie », ça réjouit l'âme et l'intelligence.

Il y a une fable, que je découvris un jour avec stupeur, à ma première lecture intégrale du recueil, la seule qui use du patois... picard !
La voici

Ce loup me remet en mémoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris:
            Il y périt. Voici l'histoire:
Un villageois avait à l'écart son logis.
Messer Loup attendait chape-chute à la porte;
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,
        Veaux de lait, agneaux et brebis
Régiments de dindons, enfin bonne provende.
Le larron commençait pourtant à s'ennuyer.
            Il entend un enfant crier:
            La mère aussitôt le gourmande,
            Le menace, s'il ne se tait,
De le donner au loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d'une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit: « Ne criez point, s'il vient, nous le tuerons.
- Qu'est ceci? s'écria le mangeur de moutons:
Dire d'un, puis d'un autre! Est-ce ainsi que l'on traite
Les gens faits comme moi? me prend-on pour un sot ?
            Que quelque jour ce beau marmot
            Vienne au bois cueillir la noisette! »
Comme il disait ces mots, on sort de la maison :
Un chien de cour l'arrête; épieux et fourche-fières
            L'ajustent de toutes manières.
« Que veniez-vous chercher en ce lieu? » lui dit-on.
            Aussitôt il conta l'affaire.
            « Merci de moi! lui dit la mère ;
Tu mangeras mon fils! l'ai-je fait à dessein
            Qu'il assouvisse un jour ta faim? »
            On assomma la pauvre bête.
Un manant lui coupa le pied  droit et la tête :
Le seigneur du village à sa porte les mit ;
Et ce dicton picard à l'entour fut écrit:

       « Biaux chires leups, n'écoutez mie
         Mère tenchent chen fieux qui crie. »

C'est délicieusement cruel et immoral ^^.

La gravure est de Gustave Doré.

Commentaires

1. Le vendredi, janvier 21 2011, 09:55 par Dominique

La Fontaine c'est inépuisable, il y a toujours une fable que l'on ne connait pas, avez vous lu sa bio par Marc Fumaroli ? excellente et elle pousse à rouvrir les fables

2. Le vendredi, janvier 21 2011, 18:51 par Agnes

Non, je n'ai pas lu (je n'ai guère de temps pour les bios, en fait, et si celle-ci est bonne, c'est une bonne nouvelle car celles que j'ai lues ou tenté de ces derniers temps étaient mortelles : Camus, et un Char qui avait franchi les limites du ridicule - "L'éclair au front".... Harry Potter ^^ !).

merci à vous !

A.

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