« La peau des murs »

C’est chaque fois une grande image surgie du mur, née de lui.

Elle est parole et pourtant muette. A Naples, après les crucifixions, les descentes de croix, je cherchais des traces de ces martyrs, des lambeaux de corps, des linges sacrés, et chaque fragment retrouvé constituait une part du drame. Chaque fois encore, l’image géante, déchirée, venue du mur, créait une immense zone de paix autour de cette présence inattendue, percutante, insoutenable, témoignage de ces martyrs qui refusent de se réduire au silence du mur, collés de leurs larmes. Le papier déchiré, douloureux comme un peau se refuse au sublime de l’image et de son origine pour se perdre sur ces grains de pierre, les anfractuosités qui déjà les dévorent.

 Souvent l’image, Rimbaud, les morts silencieux de la Commune, Maïakovski le géant, tant d’autres, se déchiraient d’eux-mêmes pour signifier avec leur souffrance d’être, d’avoir été. Souvent encore, gris et noirs d’exister ainsi, ils agrandissaient l’espace, prenaient la rue à témoin, envahissaient les lieux, griffaient le mur, allaient chercher le ciel qu’il soit bleu ou blême, plus grand que les pierres sur lesquelles ils gisent, mutilés, plus immenses ou contrits.

 Ces corps sans mesure en vérité, prennent leur puissance à la rue, et ceux qui passent s’emparent d’eux.

C’est le début du texte d’Henri Cueco qui ouvre un volume d’hommages à l’œuvre, au travail d’Ernest Pignon-Ernest, à l’occasion je pense de la grande rétrospective de son œuvre qui a eu lieu cet été à l’Espace Encan de La Rochelle, vaste lieu où les panneaux découpaient un labyrinthe ouvert d’où, de pause en pause, surgissaient, saisissants, les visages de ses icônes modernes (et non « païennes », je ne crois pas), personnages illustres ou anonymes. Christ, vierge, artistes ou gens de peu, choisis pour ce qu’ils révèlent de notre monde, et collés sur les murs pour que réciproquement le lieu et le(s) personnage(s) s’entre-révèlent.

Face aux murs Ernest Pignon-Ernest, tel est le titre de l’ouvrage, qui fait dialoguer photos de l’œuvre in situ – puisque en somme seule cette trace en demeure - et textes d’auteurs, d’amis. Textes théoriques ou poétiques, fraternels, fulgurants, parfois bavards. Curieusement, un texte d’Anne-Marie Garat « recycle », presque mot pour mot, en les distribuant un peu différemment, et en y ajoutant la dimension de l’image, l’extrait que j’ai cité en fin de ma récente chronique comme hommage au roman (à la façon dont E. P.-E. recycle, réinterprète, reforge et remodèle de grandes œuvres classiques pour leur donner la voix de notre temps ?)

Il y a un très beau texte de Jean-Marie Laclavetine Sous le pavé de Naples, les voix d’André Velter, de Jean-Baptiste Para, de Jean Rouaud.... tant d’autres, que je connais ou non, que j’aime ou que je n’aime pas. Signes, en tout cas, de la force expressive de cette œuvre vraiment bouleversante qui plus qu’aucune sublime l’art du dessin. Malgré le papier raide et trop glacé, malgré surtout ces marges de droite pas justifiées - c’est moche, c’est négligé, c’est bien la peine de citer tant de noms sur l’achevé d’imprimer – le livre est beau de ce dialogue entre textes et images, de la résonance de l’œuvre au cœur du profond aujourd’hui.

Et voici le site d’ Ernest Pignon-Ernest.

Successivement : Donna con lenzuolo (Femme au drap), Naples 1990; Genet, Brest 2006; Desnos étude, 2009?

 

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