Mot-clé - Anne Frank

Fil des billets - Fil des commentaires

dimanche, février 17 2013

Shalom Auslander - L'espoir, cette tragédie

     Passer de Stefansson à Shalom Auslander, c’est un exercice de grand écart particulièrement acrobatique. C’est passer d’un lyrisme habité par le sens de la beauté du monde et de la dignité de l’homme à un déluge grinçant, grimaçant, fulminant, de dérision désespérée et de misanthropie radicale. Loin des vastes étendues de nature sauvage, on se retrouve dans une petite ville américaine bobo, Stockton, ville absolument sans Histoire, détail essentiel pour l’installation de Sol(omon) et Bree Kugel, accompagnés de leur fils Jonas, et, - hélas – de l’hystériquissime mère de monsieur, subclaquante mais bien vivace, et confite en déploration accréditée des malheurs du peuple juif depuis la Shoah. [Kugel, dont le Reverso m’apprend que ce terme allemand signifie « boule », « balle », « bille », ce que je n’interprète pas plus que cela, ignorante que je suis des usages de ce terme dans la langue allemande.] Ayant donc quitté New York, sa frénésie et ses miasmes pour vivre dans une fermette à la campagne une nouvelle vie rédimée, expert en bagout et slogans efficaces pour la promotion de machines à compost, Solomon, fils sans père et père éperdu d’anxiété, meuble ses insomnies à se réciter des litanies de dernières paroles célèbres, dans le souci de laisser à son propre fils des mots dignes, drôles et définitifs. Sauf que ça pue atrocement dans la fermette, où vit aussi un locataire rageur, et que les tap-tap-tap qui semblent via la tuyauterie de l’aération émaner du grenier vont amener Sol à une découverte renversante. Tout le monde l’a déjà écrit partout, je peux donc vendre la mèche : dans le grenier de cette fermette de Stockton est installée, rampante, rageuse, hideuse, hirsute, griffue, borgne, bossue, puante, tempêtante, despotique ET authentifiée d’un tatouage, Anne Frank soi-même, rescapée de Bergen-Belsen mais vouée à la mort par son éditeur pour raisons commerciales (que faire d’une Anne Frank vivante, alors que la morte est tellement « vendeuse » ? – « Restez morte » !), réfugiée de grenier en grenier de l’Europe à l’Amérique, et occupée depuis soixante ans à écrire un roman digne en termes de tirages de son Journal.

Lire la suite...