Caryl Férey - Mapuche

Mapuche. Un titre énigmatique sur la couverture d’un gros volume illustré d’une photo en noir et blanc – en gris plutôt - de la pampa, ciel nuageux immense, immense étendue d’herbes en touffes à la lisière desquels un cheval solitaire galope au loin en direction du bord gauche. Pavé parfait pour occuper une insomnie de début de vacances.

C’est un thriller politique, sur fond d’Argentine encore en proie aux séquelles sanglantes des victimes de la / des dictature(s). Avec deux héros saisissants : Jana, indienne mapuche qui, après des années d’abjection imposée par son statut d’indienne, à Buenos Ayres en proie à la crise des années 2000, est devenue sculptrice, et totalement marginale, une grande fille osseuse aux yeux de biche, sans poitrine, habitée par la fureur et le mépris, mais accessible aussi au « lait de la tendresse humaine », lorsqu’elle croise sur sa route d’autres balafrés de la vie, comme son amie Paula/Miguel, le travelo qui la jette dans l’enquête contée par le roman. Et puis Ruben Calderon, détective privé, autre solitaire, qui, rescapé du terrible ESMA, le centre d’interrogatoires du ministère de la Marine, où il a laissé son père, sa petite sœur, et son cœur mis en pièces, travaille pour les Mères de la Place de mai, ces femmes habitées par la volonté farouche de faire ressurgir des années d’étouffement et d’omertà, pour les rendre à la mémoire des hommes, les milliers de « disparus » assassinés et leurs enfants vendus  pour adoption à des couples stériles liés de près ou de loin au pouvoir. Un pouvoir toujours associé, aujourd’hui, aux crimes des années de dictature.

Ces deux personnages sont particulièrement bien campés, et émouvants, malgré l’horreur qui les habite et les pousse parfois à des flambées de violence destructrice. Comme le sont les autres, « bons » et « méchants », et tous ceux que l’on ne peut assigner à aucun des deux camps, et dont grouille le roman. L’intrigue est menée de façon haletante, très bien ficelée, très documentée, à laquelle il est quasi impossible de s’arracher lorsqu’on y est entré(e). Si j’ai éprouvé, çà et là, quelque distance à l’égard de tel effet de style un peu affecté ou de telle maladresse (attribuée d’abord à la traduction, mais Caryl Férey, renseignements pris, est un auteur français !), si j’ai parfois eu du mal avec les scènes de trop grande violence, si j’ai préféré lire, sur un thème proche, une trilogie que je n’ai jamais chroniquée ici faute de temps et faute de savoir où elle se trouve – chez mon fils, je dirais, d’ailleurs – La Guerre des fesses de Don Emmanuel, suivi de Señor Vivo et le baron de la coca, puis de La Calamiteuse progéniture du Cardinal Guzman, de Louis de Bernières, où le déchaînement de la violence est en quelque sorte parfois équilibré par celui d’une fantaisie onirique absolument débridée, dont je me sens plus proche que d’une forme de réalisme noir très cru, il n’en reste pas moins que Mapuche (« Mapoutché », c’est le peuple indien floué, chassé, tiré à vue dans la pampa, dont Jana est originaire) est un roman noir prenant, irrigué par un souffle, une sincérité, une conviction impérieux.

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