Gwenaëlle Aubry - Personne

Tombeau-abécédaire pour un père en éclats
Un dossier de deux-cents pages intitulé Le mouton noir mélancolique, « à romancer », tel est le legs paternel dont Gwenaëlle Aubry a tiré cet abécédaire en manière de tombeau. Vingt-six entrées, d’Antonin Artaud à Zélig, en passant par Bond (James Bond), Gisant, Obscur, Pirate ou SDF, pour tenter de saisir et d’honorer les facettes équivoques et l’inquiétante incertitude d’un père passionnément aimé et aimant, mais vacillant depuis toujours aux marges du déclassement, de la folie et de la mort.

C’est sans doute cet amour partagé envers et contre toutes les failles et les déchéances qui donne à ce livre sa justesse de ton, sa gravité, son épaisseur humaine :

« Je ne pouvais m’empêcher de penser à lui,
de songer, (…) qu’il lui avait bien fallu, quand nous le retrouvions pour un week end ou des vacances, tenir en respect ses fantômes, ses délires pour accomplir les gestes qui bordent l’enfance, trouver dans la sienne qui s’épuisait, l’énergie d’alimenter nos vies, vulnérables et voraces, préserver, dans le chaos où il était, un îlot d’ordre, dans le réel qui s’effritait, des horaires et des règles (nous donner des bains dans la baignoire où, le reste de la semaine, il lavait ensemble ses chemises et son chien, nous préparer à dîner, tracer sur nos fronts, le soir, au coucher, les signes magiques qui nous protégeaient) –
‘'Je n’ai connu de bonheur permanent que celui qui vient de l’existence de mes enfants, tout le reste me semblait précaire, fragile, menacé’' »

Placé sous le signe du fragment et du masque (persona en latin) - des masques, derrière lesquels se projetait cette identité problématique, ce « roman par lettres » tresse les mots du père et ceux de la fille, tisse de regrets, de doutes, de souvenirs précieux ou saugrenus le vide laissé déjà de son vivant par celui qui fut ou tenta d’être François-Xavier Aubry, éminent professeur de droit et grand-bourgeois en rupture de ban, fils et père au bord de l’infraction et de la transgression jusqu’en ses funérailles, et sur lequel ce livre pose, en guise d’épitaphes, ces « symboles » irraccordables. Seul reproche : deux fois, me semble-t-il, l’auteur se laisse aller, en les nommant trop explicitement, à régler un compte avec deux compagnons de passage dans la vie de son père. Brusques ruptures, de détail heureusement, avec le flot lyrique de cette parole de deuil et d’amour belle et singulière.

Je trouve ceci http://bibliobs.nouvelobs.com/20090717/13846/en-video-gwenaelle-aubry-presente-personne sur le site de bibliobs, où Gwenaëlle Aubry présente son livre. Elle le lit aussi, vers 8mn, avec précipitation et de façon assez monocorde, mais cela donne une idée de sa phrase sinueuse et torrentielle. Il s'agit du "chapitre" SDF.

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