Gérard Garouste, Judith Perrignon - L'Intranquille

Gérard Garouste est un peintre français né en 1946. Je connais de lui, outre quelques tableaux, ses illustrations pour un Don Quichotte édité chez Diane de Sellier. Illustrations vivement colorées, habitées de personnages dont le mouvement tourmenté m’évoque irrésistiblement Les Cyprès de Van Gogh. Personnages envahissants, bancals, environnés de signes, à la fois séduisants et « intranquilles ». Je me permets l’usage de ce néologisme inspiré de Pessoa parce que tel est le titre de l’ouvrage autobiographique, dédié à sa femme, que Gérard Garouste vient de publier avec Judith Perrignon chez L’Iconoclaste. Sous-titre : Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou, chacun des trois termes mûrement pesé : c’est d’avoir été « le fils d’un salopard‘un petit salopard’ a-t-il dit à ses fils – qui (l)’aimait », un « père … marchand de meubles qui récupéra les biens des juifs déportés », violent, hâbleur et obsédé de réussite sociale – mais attentif à lui – qui a conduit Gérard Garouste à la peinture d’abord, puis au délire et, à de fréquentes reprises, à l’hôpital psychiatrique.

Car après une petite enfance environnée de silence, de hargne, d’hostilité, Garouste a grandi en marge. Dans la campagne bourguignonne d’abord, chez l’oncle Casso et la tante Éléo où il s’est imprégné de récits, de gestes rituels, de terreurs enfantines et nocturnes, de liberté et d’affection, de personnages truculents et exotiques qui l’ont ouvert à son insu aux mondes de Cervantès et de Rabelais. Ensuite, au très sélect Collège du Montcel à Jouy-en-Josas où, parmi les enfants de riches laissés là par des parents indifférents ou occupés ailleurs, il a découvert une forme d’ordre, même si militaire, un monde « normal », dit-il, « fait de rapports humains avec des gens qu’on aime et d’autres qu’on n’aime pas ». Un monde clos et réglé où paradoxalement, « des portes s’ouvraient ». Où il a « compris bien des lois humaines ».

Renvoyé du Montcel juste avant 68 sans même le bac, Garouste, tout empli de la colère de son père et de la sienne propre, se tourne vers cela seul qu’il a toujours su faire : dessiner. À contre-courant des tendances de l’époque, après Picasso et Duchamp, il veut peindre, comprendre l’histoire de l’art, représenter le monde. « Devenir peintre, c’était finalement inverser la vapeur : faire des instants rares de mon enfance l’essentiel de mes jours, et de mon éducation un dangereux mensonge. Mais si la peinture a enchanté mes doigts, ce sont les livres qui ont nettoyé ma tête ». D’abord La Divine Comédie, puis la Bible, puis « une succession de livres et de mots » qui l’«ont lavé, récuré, même, et (l)’ont fait peindre ».

Ce livre est passionnant. Récit d’une vie déchirée, il transmet avec exigence et sincérité à la fois cette expérience d’un moi qui se cherche jusqu’aux limites, et une réflexion sur la peinture aujourd’hui. Parole d’un homme « en rupture avec la rupture », qui « lisait la Bible et fabriquait de la peinture à l’huile ». Qui « cherchait le chaos des poudres sur la toile qu’(il) préparait à l’ancienne quand ceux de (son) âge faisaient de la photo, des installations, des performances. Qui « se tournait vers l’originel plutôt que l’original». Parole dans laquelle Judith Perrignon a su faire entendre à la première personne la voix du peintre à travers une phrase classique et belle, dans une forme à la fois fluide et brisée. C’est un livre juste et chaleureux, malgré la douleur. Unissant les univers de Garouste, il ajoute les mots aux signes de la peinture, éclairant à la fois une époque, une vie d’homme, l’univers propre d’un peintre et la façon dont il s’inscrit dans l’histoire. Un livre riche et bon.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet