Vacca, Derec

Cinq bouquins ces derniers jours, et c’est du dernier surtout que je veux rendre compte. Trois d’une inspiration autobiographique manifeste, deux plus explicitement fictifs, bien que quatre prétendent au titre de romans.
Il y a donc eu de Paul Vacca La Petite cloche au son grêle, dont le titre m’évoque, allez savoir pourquoi, Francis Jammes. Ce n’est pourtant pas celui-ci qui est au cœur de ce premier roman tardif édité chez Philippe Rey, sobre couverture gris-bleu, papier crémeux, belles marges. Sur les bords de la Solène fleuris au fil des saisons de narcisses, pivoines ou clématites – il y a une musique des noms de fleurs dans ce roman – le narrateur enfant dérobe un jour un volume oublié dans l’herbe à l’approche de la pluie par la cantatrice locale dont il est amoureux. ''Du Côté de chez Swann''. Pour ce fils de cafetiers d’origine italienne, la langue de Proust est une illumination mystérieuse qui va l’unir à sa mère dans une complicité ardente de lecteurs passionnés – malgré les craintes du père : une telle lecture ne risque-t-elle pas de rendre son fils homosexuel ?, et l’hostilité caustique de la prof de français. Au fil des saisons et de la vie tranquille d’un bourg provincial, l’amour de Proust fera entrer dans la salle du café « Chez Nous » Pierre Arditi disant les grands auteurs pour finir sur un feu d’artifice de morceaux de ''La Recherche'', puis réunira le bourg entier dans une grande représentation de l’œuvre, entrée triomphale et douloureuse du narrateur dans l’âge adulte. Paul Vacca devait ce roman à la mémoire de sa mère. C’est un joli texte, d’une écriture très classique.
Puis, parce qu’il était à la maison à portée de main, de Jean-François Derec Le Jour où j’ai appris que j’étais juif, récit.

Avec quelque réticence au départ parce qu’il me souvenait que l’auteur faisait partie de « la bande à Ruquier » entendue parfois à je ne sais plus quelle radio d’ailleurs, petit monde certes fort spirituel mais dont le persiflage continu m’était pénible.

Eh bien ce bouquin, malgré quelques facilités de style, images ou chutes de chapitres, et parfois un petit côté bateleur, m’a touchée, tout en me faisant bien rigoler. Comme l’indique le titre, il s’agit d’une « réflexion sur la question juive » envisagée de façon très personnelle. Ayant découvert à 11 ans qu’il était juif, l’auteur s’aperçoit que sa famille se réduit à cinq personnes, trois enfants, un père joueur d’échec virtuose, et une mère qui, malgré ses fichus et son accent n’a pour seul but que d’oublier tout de la Pologne et de son passé, pour que les siens deviennent des Français « komifaut ».

Le récit évoque avec verve, en brefs chapitres, les conversations échevelées et incohérentes à la table familiale, les différences et ressemblances entre un repas chez les ashkénazes et un repas chez les séfarades : "mais je tombai sur une mère juive qui, bien que n’étant pas la mienne, n’avait d’yeux que pour moi : « Il ne mange rien ton ami, il est malade ? » demanda-t-elle après que j’eus englouti ma douzième boulette", les infinies subtilités des mots oy et ay dans une conversation en hébreu, ou la gaucherie angoissée de l’auteur confronté à son ignorance radicale des rituels juifs à la synagogue (comment faire tenir une kippa sur sa tête ?). Derrière l’avalanche des traits d’esprit affleure une quête douloureuse de l’identité et des origines. Si le nom de Derec passe pour breton, il n’empêche qu’il est l’apocope de Dereczynski, devenu Derec Zynski, et que cette moitié disparue du nom patronymique polonais « incarne » en quelque sorte le questionnement de l’auteur sur ses antécédents disparus et effacés délibérément par la tradition familiale : "Le devoir de mémoire si cher à nos pontifiants parleurs télévisuels ? (…) Pour ma mère, c’était le devoir d’amnésie qui s’imposait". D’où ces réunions de « familles sans morts » le jour de la Toussaint, et chez Derec la conscience tardive tout à coup que « si on sait où sont les morts, on sait d’où on vient », et la quête du passé toujours plus anxieuse au fil du vieillissement des parents et de l’auteur lui-même. Pour seules traces, cinq photos, qui le conduiront, par recoupement avec le film Shoah, au ghetto de Lodz, en 1941.

Méditation subtile, souvent cocasse, parfois cruelle sur ce que signifie être déraciné, sur le rapport à l’Histoire, aux autres, à sa famille, à soi-même. Pleine de blagues juives, le legs essentiel du père : « S’il te plaît, Dieu, la prochaine fois que tu élis un peuple… prends-en un autre ! ».
Quant aux trois autres livres, ce sera pour demain.

Commentaires

1. Le lundi, mars 9 2009, 14:29 par paul

Bonjour,

Merci pour ce très joli billet sur "La petite cloche au son grêle". Mais permettez-moi juste une petite précision: contrairement à ce que vous affirmez ce roman n'est absolument pas autobiographique. Et d'ailleurs le prénom du narrateur n'est jamais mentionné... Cordialement.

2. Le lundi, mars 9 2009, 18:38 par Agnès

Sorry. Voilà que je me suis laissée prendre par l'illusion romanesque, à laquelle je suis très encline !
AO

3. Le mardi, mars 10 2009, 15:59 par paul

Ce n'est rien! Cela m'a donné en tout cas l'occasion de faire connaissance avec votre blog. Quel bonheur de lecture! Tout en finesse, culture... et humour. Chapeau bas!

4. Le mardi, mars 10 2009, 22:33 par Agnès

Je vous remercie de votre visite, et de vos petits mots. J'espère que cela vous aura donné des idées de lectures (je tiens beaucoup aux livres drôles, ça me rappelle une scène où, enfant, je lisais hilare dans le bus à Marseille un Pagnol, l'un des volumes des souvenirs d'enfance, debout, accrochée à une poignée, et une petite mémé, après s'être penchée pour voir, avait communié dans le plaisir de cette lecture : "C'est drôle, hein !". Il y a une complicité supplémentaire à partager une rigolade.) Mais j'ai vu que vous étiez scénariste ? et après consultation d'imdb, que vous aviez écrit un scénario proche de celui du roman pour un film TV que je n'ai pas vu, et qui inspirait un commentaire élogieux de spectateur. C'est donc un sujet qui vous tient à cœur ! J'ai vu aussi que vous aviez été sélectionné pour des prix de lecteurs lycéens, c'est une bonne idée. C'est un plaisir pour moi de chroniquer aussi les auteurs vivants ^^.

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