Où j’ai découvert qu’il est un « saint patron » des entasseurs de livres.

De ceux, dont je suis, (dont nous sommes, dans la famille), qui faisant litière de toutes les résolutions raisonnables – j’arrête d’acheter des livres, je vais les emprunter à la bibliothèque – voient progressivement leur espace vital colonisé par des piles toujours plus hautes, chancelantes, envahissantes, improbables, poussiéreuses, appuis de fenêtres, escaliers, tables de chevet… de livres de tout poil qu’il faudra en outre un jour ranger sur des étagères, et là intervient le problème crucial du classement, dont Jacques Bonnet, auteur de ce savoureux Des bibliothèques pleines de fantômes, évoque les mille et une possibilités, toutes vouées, un jour ou l’autre, au dérangement pour cause de dérogation, de catégorie hybride, d’affinités imprévues. Le spectre du désordre au cœur de l’ordre, de la subjectivité au cœur de la rationalité, du foisonnement anarchique ou du débordement incontrôlable. « La parfaite maîtresse de maison veillera à ce que les œuvres des auteurs hommes et femmes soient décemment dissociées et placées sur des rayons séparés », non ce n’est pas une blague, c’est un article du règlement d’une bibliothèque anglaise, à l’époque victorienne…

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Le saint patron, donc. Pas plus catholique que ça, c’était un juif érudit, Charles Valentin Alkan, dont une des versions du mythe, celle qui nous intéresse, dit qu’il périt écrasé sous la bibliothèque qui coiffait sa tête de lit. D’où l’unique mur interdit aux livres chez Jacques Bonnet, celui qui se trouve à la tête de son lit.

Ce livre est une promenade délectable dans l’univers des lecteurs à tous crins, une errance dans la vaste forêt des auteurs aimés, des anecdotes savourées, des histoires de bibliomanes. Un récit capricieux qui pousse au fil de la méditation rêveuse de son auteur des vrilles échevelées vers tel auteur inconnu (la Maison de papier de Carlos María Domínguez ou Giuseppe Pontiggia, frère de l’auteur en bibliomanie), tel autre familier (Eco, ou Nodier, par exemple), tel « obligé » (Borges). Qui ressuscite Pessoa et Matisse en solliciteurs de postes alimentaires, et surtout, qui enchaîne les listes, ultime recours pour évoquer le foisonnement et étourdir à force d’abondance. Pérec est là aussi, bien sûr. Ne serait-ce que sur la très belle couverture de cet opuscule d’emblée familier : la photographie d’une "bibliothèque-hommage à Georges Pérec", encadrant une cheminée. Une image, comme le pensaient Borges et … Bachelard ( ? je n’ai plus le livre, je l’ai – déjà – prêté) du paradis.

Quant aux fantômes, ce sont aussi les fiches cartonnées que les bibliothécaires laissent sur les rayonnages pour signaler un ouvrage emprunté. Pratique que l’on aurait bien dû adopter, chez nous. Avec tous nos fantômes, il y aurait de quoi peupler quelques châteaux en Écosse.

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