Un homme pétrifié

Atiq Rahimi a donc obtenu le prix Goncourt 2008 pour son premier roman en français : Syngué Sabour, Pierre de patience, et je m’en réjouis car c’est un beau roman, celui d’un « jeune » auteur, conteur d’une histoire elle-même tissée d’histoires. Histoire ancrée dans le monde le plus contemporain comme le plus ancien, l’Afghanistan d’aujourd’hui – encore que rien ne le nomme sinon des objets ou des rites – et l’Orient du livre sacré et des contes. Huis clos anonyme qui confronte en un long monologue « la femme » et « son homme » allongé, inerte, pétrifié. Une balle dans la nuque, et depuis seize jours, nulle autre manifestation de vie qu’un souffle infiniment régulier, ponctué par l’interminable chapelet de la femme, où quatre-vingt-dix-neuf fois quatre-vingt-dix-neuf grains par jour, elle répète au rythme de ce souffle mort l’un des noms sacrés d’Allah, pour rappeler l’homme à la vie. Jusqu’à craquer. Et progressivement à ce chapelet imposé par le mollah vont se substituer cris, éclats, récits interdits, injures, aveux, caresses. Pour faire surgir, peut-être, de ce corps mort, devenu « pierre de patience » - cette pierre magique où se déversent les malheurs jusqu’à l’éclatement et à la délivrance - un homme nouveau, tel qu’elle le rêve.

Ce n’est pas gai, l’histoire des hommes et des femmes en cette chambre close, à quoi se réduit quasi le pays extérieur. Brutalité, haine, ignorance, ruse, dissimulation. Éloignement des corps. Les héros sont des brutes : insensibles, violeurs, absents, puérils. Les femmes se taisent, mentent, trichent, subissent. Et si la parole, devenue insoutenable, réveille, est-ce bien un horizon qu’elle a ouvert ? Le roman se conclut sur une porte close, derrière laquelle « on » frappe.

Beau livre donc, à l’écriture aiguë, très économe, hyper cinématographique : quasi un scénario, à peine un peu plus charnu. Avec des raccords son – la « bande son » est très importante, c’est à travers elle que l’on sent la présence dévastatrice de la guerre, bombes, tirs de rockets, kalachnikovs -, des montages parallèles (l’homme et la femme / le cadavre de la mouche et les fourmis ou l’araignée….), et, limite où je renâcle, une écriture obsessionnellement au présent - Rahimi admire Duras. Il y a dans ce dépouillement quelque chose de poétique, un rythme court, qui donne au texte sa cadence, son incantation. Sans doute aussi, à la longue, sa limite. Mais c’est un bref roman, saisissant, jusqu’au bout.

Commentaires

1. Le vendredi, avril 17 2009, 11:15 par odile

oui, j'ai vraiment erré avec cette femme dans l'espèce de délire où renvoient la solitude, le chagrin, l'angoisse... on est saisi, en effet. capté. force de la littérature qui fait vivre par delà ce qu'on "sait" de l'Afghanistan, de l'Orient, des guerres... et cette longue rêverie hallucinée.

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