Irène Némirovsky - Suite Française – Sans suite…

Les vacances, parmi tant d’autres choses, le dépaysement, la chaleur, les centaines d’abeilles qui font de la vigne vierge un mur vrombissant, c’est le moment où se permettre une débauche de lecture, centaines de pages avalées sans remords ni vergogne à l’ombre ou au soleil, matin, midi, ou soir, ou nuit.
Lectures de juillet, enchaînées à la suite dans le vaste soulagement du farniente. Mais faute d’ordinateur, proche ou lointain, et de connexion sur la toile, le blog est resté silencieux. Que celles et ceux qui ont coutume de lui rendre visite veuillent m’en excuser. Les voici, pêle-mêle.
 J’ai lu, d’une traite, Suite Française, ce roman que j’avais ignoré à sa sortie, non moins posthume que récente, un peu trop tapageuse, avais-je pensé. Depuis, comme en témoignent les derniers articles, j’ai mis le nez dans Irène Némirovsky, avec passion et stupeur. Comment ai-je pu ignorer même l’existence, entre les deux guerres, d’un écrivain d’un tel talent ? Comment a-t-elle pu être ensevelie, après sa disparition, dans un tel silence ?

Suite Française, ce sont les deux premiers livres d’un roman qui devait faire mille pages, un roman de la guerre et de l’occupation, écrit dans l’urgence et, en quelque sorte, sur le motif. En direct, ou presque. Stupéfiante capacité de l’auteur à s’abstraire du présent tourmenté et menaçant qu’elle vivait (exode, exil à Issy-les-Moulineaux), elle, juive et apatride, et à convertir en une fiction organisée, projetée dans une Histoire à venir, les êtres qu’elle voyait vivre ce naufrage social et historique : ouvriers, paysans, petits et grands bourgeois, esthètes, écrivains, artistes, Français et Allemands…..

La première partie : Tempête en Juin, juxtapose en petits chapitres des épisodes de l’exode : le roman s’ouvre sur une vision panoramique, avec zooms, de Paris pendant une alerte. S’ensuit une multitude de petits tableaux kaléidoscopiques, soirée autour du poste, patrons et domestiques, chez les Péricaud - alliés aux Maltête de Lyon – une famille de grands bourgeois catholiques. Puis avec Gabriel Corté, écrivain en vogue, esthète et cynique, avec les Michaud, un couple d’employés de banque, âge moyen, moqueurs, désabusés et tendres, sans nouvelles de leur fils Jean-Marie pris dans la débâcle. Et encore « Charlie » Langellet, autre esthète et collectionneur…. Les mésaventures des uns et des autres construisent la cohérence narrative du roman, et la trame du roman à venir, tableau vivant et animé de la France en proie à l’exode. Le ton et le trait sont souvent mordants – qu’est-ce qu’ils prennent, les nantis ! – le rythme alerte, le propos sans manichéisme, jamais.

Après Tempête, mouvant, chaotique et cahotant, Dolce, comme l’indique son titre, marque une pause, au moins géographique : l’action se concentre à Bussy, bourg du centre de la France, où s’installent les Allemands. Billets de logement, maisons dépeuplées de leurs objets familiers que l’on dissimule, rancoeurs et rencontres, conflits et contacts… autour de Lucile Angellier – qui hébergea un jour les Michaud pendant l’exode – et de Madeleine Sabarie qui soigna Jean-Marie avant d’épouser le Benoît (une bourgeoise, une paysanne), le bourg découvre, avec le lecteur, les plaisirs, les dangers, les inévitables ambiguïtés de l’Occupation. Le roman s’interrompt avec le départ des Allemands pour la Russie, on est en 42.

À la suite, les notes d’Irène Némirovsky, qui témoignent de sa réflexion en cours sur son œuvre en cours, de son ambition littéraire, de problèmes techniques et d’incertitudes. De l’importance pour elle du modèle cinématographique, et musical, quoiqu’elle s’y avoue béotienne. On comprend ainsi comment le roman se serait déployé en une troisième partie, Captivité, avant le finale (4 ou 5 parties ?). En fait de captivité, c’est Irène Némirovsky qui a été arrêtée, puis déportée à Birkenau où elle a bientôt été gazée. Le volume se conclut par l’échange de lettres haletant qui témoigne de la passion avec laquelle son mari a tenté de retrouver sa trace et de lui porter secours, avant d’être lui-même arrêté, déporté, gazé. Leurs deux filles ont été cachées et sauvées, avec le soutien indéfectible, même après la guerre, de l’éditeur d’Irène Némirovsky, Albin Michel.

Curieusement, cette fin inaboutie ne m’a pas frustrée. Les notes donnent au roman sa perspective, et ce qui nous en parvenu est magnifique de tension, de justesse, de netteté. Puissant - et moderne.

Commentaires

1. Le jeudi, novembre 6 2008, 17:36 par Nachin

C'est un plaisir que nous avons partagé!

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet