"Passagère du Silence" de Fabienne Verdier.

Drôle de bouquin, récit autobiographique d’un voyage vers l’étrangeté radicale pour aller à la rencontre de soi.
Jeune femme exilée de sa propre famille scindée par un divorce, talentueuse étudiante aux Beaux Arts de Toulouse, dont elle conteste l’enseignement privé de toutes racines, et fondé sur une créativité factice, elle obtient à force d’obstination le droit de partir étudier la calligraphie chinoise auprès des vieux maîtres bannis par la Révolution culturelle, à l’institut d’Art de Chongqing dans le Sichuan. Arrachement complet, départ presque dénué de tout vers un ailleurs absolu.


Le récit de ses dix ? années de séjour en Chine, à la rencontre, malgré les tracasseries incessantes et l’ostracisme obligé dont elle était l’objet, d’une langue et d’une culture passionnément désirées. Les rencontres, non seulement avec les maîtres, toujours là quoique marginalisés ou persécutés, mais avec les autres. Ce sentiment, qui m’emplit de gratitude, dans notre monde où il est si galvaudé d’affirmer la méchanceté radicale de l’homme et l’incommunicabilité entre les cultures, que dans le dénuement le plus total, le totalitarisme le plus accompli, malgré la présence concomitante de la jalousie, l’incompréhension, l’hostilité, la malveillance, j’en passe… on peut rencontrer la compassion, l’amitié, la complicité, le rire. Une autre langue, d’autres codes, appris, incarnés - qui n’excluent pourtant pas, çà et là, les gaffes irrémédiables.

Passagère du silence, Fabienne Verdier - « mademoiselle Fa », on dirait un nom de conte, et sur une photo son énorme pinceau plus grand qu’elle évoque qui sait quelles sorcelleries ? - à travers l’abandon, le dénuement et les rencontres, apprend progressivement les règles et les gestes d’une ascèse artistique qui va la conduire sur les sentiers de sa propre création, celle de « l’unique trait de pinceau » qui, d’un chaos tournoyant fait naître la juste expression de soi comme l’accord avec l’harmonie du monde, sur fonds d’étoffes somptueusement chatoyantes. Entre calligraphie et abstraction.

Le personnage, dans sa radicalité, est saisissant. À lire son récit, on découvre une Chine familière et infiniment diverse, complexe, insaisissable. Des êtres, des modes de vie et de pensée. Autres, et pourtant accessibles, au moins en partie. Rien de doctoral ni d’exhibitionniste dans ce propos, le simple désir de transmettre une expérience et des rencontres, de jeter des ponts fragiles entre Occident et Orient, entre les arts, entre les gens. C’est un beau livre.

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