Qu’ai-je pensé de "La Réserve" de Russell Banks ?

Poser la question, c’est exprimer à tout le moins ''une réserve'', justement (je jure que je ne l’ai pas fait exprès !). Une histoire dans laquelle je suis entrée avec quelque difficulté, à cause d’un mode narratif qui, d’emblée, faisait la part trop belle à une forme d’omniscience qui m’a paru dépassée. À cause peut-être aussi de l’univers de mondanité et de snobisme qui, malgré la très grande beauté de l’héroïne Vanessa Cole, campée pieds nus dans sa jupe plissée et le soleil couchant sur un rocher au bord du lac Tamarack, le soir du 4 juillet 1936, m’a laissée réticente. Mise en scène, tout ça, par l’auteur et par l’héroïne superposés, et l’arrivée du pilote baroudeur, bourlingueur, séduisant ET peintre dans son hydravion, ça fait un peu Hollywood frelaté, ou ressassé ?

Après quoi, je me suis laissée prendre. Parce que le personnage du peintre Jordan Groves (inspiré ai-je lu sur un site en anglais après avoir gougueulisé pour voir ce qu’il y avait de substrat « historique » dans tout ça par le très réel peintre et surtout illustrateur Rockwell Kent  - 1882 - 1971) est malgré tout attachant, avec son idéalisme politique de gauche, sa belle et sereine – quoique secrète - épouse autrichienne, ses deux enfants – Wolf et Bear… – et ses deux chiens, sa belle maison construite de ses mains et ses explorations à travers le monde. Parce qu’on se demande ce qu’il peut y avoir de vrai dans les fantasmes et les propos de Vanessa Cole la plus que fêlée, qui donne vraiment le sentiment du danger qu’il y a à côtoyer de près la folie, et jusqu’où est-elle folle ? Parce qu’on se prend au personnage silencieux et replié d’Hubert Saint Germain, l’homme des bois devenu guide pour wasps richissimes.

Mais enfin si l’on finit par ne plus savoir qui pense quoi et ce qui est vrai dans cet univers d’incertitudes sur fond de guerre d’Espagne, de références à Hemingway et à « Dos », de voyages dans le dirigeable Hindenburg et de lobotomies, le roman délivre malgré tout des certitudes, assez convenues : Le monde est cruel et dangereux, et les femmes marquées par la beauté (« Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre », c’est l’épigraphe, qui me fait irrésistiblement penser au commentaire rationnel et burlesque qu’a donné Marcel Aymé de ce sonnet dans « Le Confort intellectuel ») ont le visage aveugle du destin. Mmmmmmmm….. et puis les flashes forward (pardon, les « prolepses »), qu’apportent-ils au roman ? Leur insertion dans le texte (en italiques, il y en a huit, quatre pour la jeune femme, quatre pour l’homme – Vanessa et Groves, œuf corse) ne donne ni le sentiment d’une quelconque cohérence narrative, ni celui d’éclairer a posteriori l’intrigue en train de se tisser. Celui d’un procédé, plutôt.

Bref, si j’ai embarqué pour un moment avec Jordan Groves et Vanessa dans l’hydravion de leur brève rencontre, j’ai fini par lâcher prise. Perplexe, et insatisfaite, tant à cause de l’histoire, que de la façon dont elle est contée. Les volumes d’Actes Sud sont agréables à manier, la couverture est jolie, et très illustrative. Et moi, je reste dubitative.

Les illustrations de Rockwell Kent pour Moby Dick sont . C'est assez beau, dans le genre sobre et stylisé. J'aime mieux ces illustrations que les paysages glacés et anguleux que j'ai trouvés aussi sur la toile.

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