3/4 figue, 1/4 raisin... les polars de Fred Vargas

C'est – déjà - l'été. Les soirées s’allongent. Vacances ou pas, on peut se gaver de lectures à la fraîche. On entre dans la saison des romans policiers. La collection Chemins nocturnes chez Viviane Hamy, a connu un succès particulier grâce à Fred Vargas, archéologue médiéviste qui publie depuis une quinzaine d'année des romans de plus en plus accomplis, palpitants et improbables. L'antépénultième, Pars vite et reviens tard, couvert de prix, a été récemment adapté au cinéma – je n’ai pas voulu aller le voir.
Il y a deux héros : le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, et sa compagne épisodique, son amante, Camille Forestier, altiste, compositrice, et plombière à ses heures. Des titres, toujours réussis, ambigus, suggestifs: Pars Vite et reviens tard, L'homme aux cercles bleus, Un peu plus loin sur la droite, Sous les vents de Neptune, L'homme à l'envers… titres qui résonnent, à la fois mystérieux et familiers.

Des personnages, en foule, qui surgissent, acquièrent au fil des romans l'épaisseur de leurs histoires et de leurs attributs, Danglard, l'érudit rationnel et alcoolique, abandonné par sa femme et affublé de ses cinq enfants, Clémentine, grand-mère nourricière et cordon-bleu au langage fleuri de sentences, les "trois évangélistes", historiens marginaux empilés par époque aux trois étages de la "baraque pourrie" qui les abrite, Violette Retancourt, la robuste, hiératique lieutenante qui "convertit son énergie à sa guise", Joss Le Guern, (géniale invention) , marin pêcheur à la dérive reconverti en crieur de nouvelles…la narratrice tisse savamment l'écheveau de leurs histoires entremêlées.

Les deux avant-derniers sont particulièrement réussis: Pars vite et reviens tard, qui fait surgir le spectre de la peste en plein cœur du Paris le plus contemporain, et rassemble bon nombre de personnages des romans précédents, Sous les vents de Neptune, où le commissaire vacille, renversé par le brutal surgissement de son plus lointain passé, une affaire de meurtre par trident dont son frère a été accusé, vingt ans plus tôt - cependant que la brigade doit, à la terreur de Danglard, s'envoler pour le Canada, pour s'y initier aux méthodes les plus modernes de la police scientifique. Conflit, entre autres, entre les rêveries perspicaces et insaisissables d'Adamsberg et la rationalité sourcilleuse du commandant Aurèle Laliberté. Le penchant parfois excessif de Fred Vargas à reproduire en détail des conversations oiseuses trouve ici un pittoresque particulier dans les échanges franco-québécois.

Pourtant, la racine des intrigues est souvent totalement improbable. Ici, un jeu de mah jong, là, un poème de Nerval… Constructions psychologiques trop savantes pour être déchiffrées fût-ce par la plus subtile perspicacité, celle du rêveur commissaire. Pourtant, on est saisi, captivé, et pas question de lâcher le roman avant la dernière ligne. Qu'est-ce qui fait donc le charme des romans de Fred Vargas? Sans doute qu'on y soit plongé dans un univers familier aux personnages totalement excentriques, au sens premier du terme. Un univers contemporain et en même temps décalé et intemporel, où trônent marchande aux puces et prostituées cordons-bleus, ménagères averties et sentencieuses, femmes rassurantes auprès de qui les hommes vont blottir leurs inquiétudes et leurs violences. Plaisir des conversations oiseuses ou des formules humoristiques, parfums et saveurs d'enfance (il faudrait s'interroger sur le lien que certains polars entretiennent avec la cuisine ou la gastronomie), histoires de familles délétères et fascinantes, érudition et prosaïsme de la vie quotidienne… un univers où le passé n'est pas aboli dans la banalité du présent, où l'excentricité et la générosité réunissent des personnages chaleureux et colorés, où l'imaginaire du lecteur s'étire à son aise, un univers, en somme, où, malgré les meurtres, il fait bon vivre.

Hélas, j’ai déchanté au dernier paru : Dans les bois éternels, une nouvelle aventure du commissaire Adamsberg, cette fois devenu père - quoique pas de famille, puisque son histoire avec Camille semble s'être définitivement effilochée - d'un jeune Thomas, et confronté à une série de meurtres avec exhumation ultérieure, entre Paris et la HAUTE Normandie. Il y a des vierges, des cerfs, l'os pénien de divers animaux (si, si, un os pénien, c'est une des révélations du livre), l'os en forme de coeur d'un groin de porc, un flic qui parle en alexandrins - parfois approximatifs - petit exercice à contrainte qui rompt la monotonie des célèbres dialogues des personnages de FV, un paléontologue (Mathias, l'un des quatre évangélistes, on le connaît déjà), une infirmière "dissociée" et fugitive et cetera… C'est plaisant, ça se lit facilement, mais franchement, on y atteint des sommets dans l'invraisemblance. Elle a définitivement viré auteur de contes, Fred Vargas, et ses méchants manipulateurs manquent un peu d'étoffe humaine.

Commentaires

1. Le samedi, octobre 27 2007, 13:21 par Joseph Glinel

Ce qu'il y a de cool quand on parle avec son ancienne prof de français c'est que si l'on fait trop de fautes elle ne pourra que se sentir un peu responsable...
Pour ce qui est de ce dernier opus de Vargas, je ne suis pas d'accord parce qu'on ne peut pas toujours écrire ce que les gens attendent...
Réussir à méler Adamsberg, maintenant devenu incontournable (ou presque) avec comme tu le dis si bien un conte je trouve cela surpuissant..
A+
JO

2. Le samedi, octobre 27 2007, 18:09 par Agnès Orosco
Coucou Joseph ! Merci de ton petit mot !

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