Pierre Siniac - Femmes Blafardes

Femmes Blafardes, un roman de Pierre Siniac, première édition Fayard Noir 1981, réédité chez Rivages/Noir en 1997.

J’ai dû lire quelques « noirs » ces derniers temps, pour cause de journée d’étude sur la question. Entre autres le passionnant parce que tellement passionné et érudit Du Polar, entretiens de François Guérif, qui est justement le directeur de Rivages/ Noir, avec le journaliste Philippe Blanchet[1]. Le Guérif, et le Siniac, dont j’ai justement découvert le nom, l’existence et même la photo – grosses lunettes carrées, vaste front, raie sur le côté -  dans le Guérif, tous deux prêtés par un Sylvain emballé.

Femmes Blafardes, titre en somme bizarre, parce que les femmes de ce roman ne le sont guère, bien plutôt hautes en couleurs, entre la guirlande de prostituées du claque de Mme Augustine Balbaupoul, sous la houlette de la somptueuse Colette dite « la Panthère », pute syndiquée qui reçoit chaque jeudi un notable inscrit depuis des semaines sur la liste d’attente, et les autres, la jolie Finette ardemment désirée par l’assureur timide aux oreilles en feuille de chou – Urbain Petitbosquet - et  par le clochard Mésange, les Cantoiseau mère et fille, obèses et gourmandes, et encore la voyante « Emilienne de Chamboise, sciences occultes, astrologie, tarots et procédés divinatoires, en semaine et sur r-v, sauf le jeudi ». Le jeudi, justement, jour, ou plutôt nuit, du crime. Huit jeunes femmes rectifiées entre le 25 octobre et le 24 janvier, à raison d’une par semaine (avec une pause). C’est bien plutôt le « bled froid et triste » qui sert de décor à cette histoire, un petit bourg sinistre sis quelque part dans l’imaginaire de l’auteur entre Cholet, Nantes et La Roche-sur-Yon, que l’on peut qualifier, avec ses brouillards nocturnes et sa « pluie brouillasseuse et transperçante », de blafard.

C’est là en tout cas que tombe par un sombre après-midi Séverin Chanfier, le « privé » dans la dèche, mais gourmet et très amateur de dames, qui, parallèlement à la police officielle, va mener l’enquête, de restau en bordel et de planque en filature, en quête de l’assassin à l’éventail - sa signature, un éventail publicitaire de couleur variable laissé à côté de chacune des victimes. Je me ferais scrupule d’élucider ladite signature, je vous laisse en découvrir la savoureuse clé.

C’est la chronique d’une petite ville de province, avec son usine de pièces d’armements (avec ouvrières « décolleteuses »), son journal local, son bordel déjà évoqué, ses deux restaurants, La Gare et Les Trois Couteaux, ses boutiques-phares, Les Délices de France tenus par la sémillante Claire Vouchoux, et Aux Nouveautés de la Capitale, avec sa vitrine panoramique qui est l’une des attractions de la ville - patron Raymond Hurlejaume, ex-braconnier qui a réussi dans les affaires. C’est d’ailleurs en « nouveautés de la Capitale », à l’exclusion de tout autre salaire, que la Panthère exige d’être payée pour ses services très recherchés du jeudi soir, une tondeuse, une robe du soir ou « une petite chose de pêche sous-marine », suivant les arrivages de la semaine et les savantes mises en scènes de la vitrine.

Si les  meurtres mettent dans la routine de la ville une certaine agitation, faisant d’un bourg sans histoire une « Strangulation city » avec son lot de lettres anonymes, et qui attire presse et police nationales (en vain), c’est paradoxalement leur absence (entre début décembre et le 24 janvier) qui va sévèrement dérégler l’ordre public. Sachez pour votre gouverne que lesdits meurtres sont liés à la présence ou non, au menu des Trois Couteaux, de « Lapin Chasseur ».

Voilà qui donnera une idée, je l’espère, et surtout l’appétit de découvrir ce roman où se perpétue une certaine France plus avant-guerre qu’après, comme en témoignent les patronymes très champêtres des personnages, où le sexe, la bouffe et le ragot donnent la main à de cyniques intrigues politiques, le tout porté par un style vraiment sui generis, inventif, évocateur, et néanmoins truffé de jeux de mots plus ou moins approximatifs (mon mauvais esprit me fait ainsi lire, dans le nom de la maquerelle, une allusion contrapétique à ses fonctions) et une fantaisie narrative franchement délirante. J’y renifle un petit air de Marcel Aymé, pour la fantaisie noire. Pierre Siniac, qui semble avoir fait une fin digne de son univers romanesque, n’avait sans doute guère d’illusions sur le genre humain. Misanthropie qu’il affrontait à coup de fictions noires et bigarrées, dont les titres truculents débaroulent en fin de volume, pas mal d’entre eux réédités chez Rivages, d’ailleurs : Bazar Bizarre, Sombres Soirées chez Madame Glauque ( !), Démago Story, Le Mystère de la sombre zone, Carton blême, La Course du Hanneton dans la ville détruite. Bel échantillon, n’est-ce pas ? et alléchant.

 

[1] Blanchet pour parler du « noir », c’est amusant….

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