Philéas Lebesgue - Le Sang de l'autre

J’ai dû il y a peu me pencher sur l’œuvre poétique de Philéas Lebesgue, poète picard et paysan, né en 1869, mort en 1958, exceptionnelle longévité à l’origine d’une œuvre poétique très abondante, (environ 1600 poèmes et chansons, trente-sept recueils !), mais aussi d’un drames, de romans, et d’une vaste collection d’articles critiques consacrés pour la plupart à des collègues étrangers, puisque Philéas Lebesgue fut très tôt un collaborateur assidu du Mercure de France de Vallette et Rachilde pour les littératures étrangères.  Je n’en dirais pas plus, l’article de wikipédia à son sujet étant parfaitement documenté. Après une conférence de M. François Beauvy, j’ai acheté Le Sang de l’autre, roman médiéval d’inspiration symboliste, publié en 1901.

Je l’ai lu, intégralement. Sans passion aucune, mais avec curiosité. Le pays de Bray, terre natale et nourricière de Philéas Lebesgue, aux alentours de Beauvais, en est le cadre avec ses châteaux, ses ruines, ses souterrains, ses vallées et ses collines. Mais les personnages, dont certains authentiquement historiques, habités par des passions intenses et sous le coup de fatalités très antiques, en sont trop désincarnés, trop théoriques, pour susciter un intérêt autre que purement intellectuel. Le fil narratif est lâche et manque de cohérence. Il en reste, sur deux générations, une histoire d’incestes fraternels. Expression, sans doute, des préoccupations obscures d’une âme tourmentée. Ça a, en moins bien, un petit côté Pelléas et Mélisande. Les jeunes filles s’appellent Blanche, Aloyse devenue Marie, et Eve. Les messieurs Foulques de Nointel et Maxime, ex-Moÿse-bossu redressé par les sorcelleries du nègre Ismaël… il y a quelques moments poétiques, une langue riche parfois trop fleurie, et une lueur d’espoir à la fin, sur la côte bretonne.

Quant à l’éditeur, Le Trotteur ailé (sorte de Pégase en plus rustique ?), si l’on ne peut que louer son initiative de rééditer des romans ancrés dans la Terre Picarde (autre titre de Lebesgue) – il s’agit de la collection « Lettres de Picardie » - comme la maquette des livres est laide ! couverture trop blanche, logo peu évocateur et dont les couleurs jurent avec le reste… l’ensemble n’est ni harmonieux, ni appétissant. Le site est ici

 Je ne vais pas finir sur une remarque grognonne. Voici pour ceux qui ignorent tout de Lebesgue, un poème dédié aux arbres, et quelques Haï kaï de sa façon. Et laissons-lui ainsi le mot de la fin.

 

LA FORÊT MUTILÉE

Chênes décapités, qui n’attendez que l’heure
De coucher sur le sol vos cadavres épais,
La guerre vous avait épargnés ; mais la paix
Veut boire votre sève encor vive et qui pleure
Sa peine de mourir aux touffes des muguets.

Squelettes d’un passé de merveille et dont l’ample
Féérie illuminait le cœur ensorcelé,
Vous me semblez, ce soir, les colonnes d’un temple
Dont les voûtes auraient croulé.

Et les larmes soudain me brûlent la paupière ;
Je maudis ce siècle de lucre où le Profit,
Sur les ruines de la vie, arme son lit
Et mure sa terreur en des cages de pierre.

Chênes décapités sous la lune d’hiver,
Vos troncs rugueux et durs enseignent le courage
Qui consiste à mourir debout, lorsque la rage
Des bourreaux de beauté sur nous brandit le fer.

Grands chênes douloureux, qui n’attendez que l’heure
De disparaître, et dont les bras portaient des nids,
Cette paix sans amour fait de vous des bannis,
Et le long de vos troncs la sève ardente pleure,
                  Chênes qu’un druide eût bénis.

Présages, ‘Étoiles à l’horizon’ - 1928

 

Le cornet de dragées (1946)

 A Anatole Devarenne (artiste peintre)

 Ces petits poèmes rustiques sont imités des Haï-kaï japonais de dix-sept syllabes.

 

LES MOIS

 FÉVRIER

 Neige fine aux branches
Et la lune sur les bois
Joli soir de noces !

 MARS

 Au fond du jardin
La lune à travers les branches :
Une rose-thé

MAI

Cette fleur errante
A quelle tige arrachée ?
C’est un papillon…

OCTOBRE

Cailles et perdrix
Se rappellent dans les chaumes
Après l’épouvante…

 NOVEMBRE

 Les corbeaux s’alignent
A travers les labours gris :
Mes pensées sont noires…

DECEMBRE

 L’orme au bord des plaines
Tend vers le ciel ses bras nus
Désespérément.

 A TRAVERS LA VIE

 Des prés, des taillis,
Des labours où le blé pousse :
Mon pays et moi…

Coule la rivière
En emportant des images,
Qui viennent du ciel….

 Quand l’orage accourt,
Les blés chuchotent de peur :
Je pense à la guerre…

 Cendres de Beauvais.
Regardons la Cathédrale
Monter vers le ciel !

 

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