Verlaine encor...

                        
                            Clair de lune

      Votre âme est un paysage choisi
                  Que vont charmant masques et bergamasques
                  Jouant du luth et dansant et quasi
                  Tristes sous leurs déguisements fantasques.

       Tout en chantant sur le mode mineur
                  
L’amour vainqueur et la vie opportune,
                  
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
                  
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

       Au calme clair de lune triste et beau,
                  
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
                  
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
                  
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

 (Les Fêtes Galantes, 1)

Verlaine et Rimbaud ont tous les deux cherché de nouvelles voies pour la poésie, mais pas du tout dans la même direction. Rimbaud a brisé ou étiré, il a « dérythmé » le vers, en particulier l'alexandrin, jusqu'à lui donner l'air de la prose (il n’y a qu’à voir pour cela Ma Bohême, qui est beaucoup plus qu’un petit poème d’école primaire, et qui, dit à voix haute, est un très prosaïque poème aux allures de prose - et la prose, selon Valéry, c’est la marche) et puis il est passé au poème en prose. Il a aussi exploré la route des images obscures, riche en virtualités futures, en particulier chez les surréalistes, mais dont on trouvait les germes chez Hugo et Baudelaire.

Verlaine, qui a dit : De la musique avant toute chose / et pour cela préfère l'impair… - ce n'est d'ailleurs pas son meilleur poème -, s'est attaché à saper le vers de l'intérieur, en particulier par un usage du [e] muet particulièrement retors et subtil, des ruptures inattendues, et un jeu constant sur l'harmonieux et le discordant: ainsi, c'est frappant, le [i] est très souvent chez Verlaine la voyelle du grincement, de la discordance. Dans Clair de lune, « et quasi / tristes… », double discordance puisque l'adverbe, - latin en outre, à prononcer [koisi] pour la rime riche et baroque -, est séparé à la rime de l'adjectif qu'il gouverne (c'est défendu depuis Malherbe), plus le son « i », au moment précis où il est question de tristesse. Certains poèmes de Verlaine sont des mélodies de voyelles. Il y a un jeu sur l'allongement des voyelles devant consonne double, aussi, toujours dans Clair de lune, les vers « et sangloter d'extáse les jets d'eau / les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres » semblent beaucoup plus longs à cause des voyelles étirées, j'entends comme un point d'orgue sur extase et sveltes.

 Les Fêtes galantes sont censées être inspirées des tableaux de Watteau, mais c'est un Watteau entièrement réinterprété, puisqu'il est nocturne. On lit beaucoup de bêtises sur ce recueil, qui est composé dans ses moindres détails, et qui, s'il n'est pas lyrique au sens propre - puisque ce sont des scénettes-tableaux, avec titres -  l'est dans sa construction, comme si le recueil constituait finalement un paysage intérieur du poète, avec ses gaîtés et ses grivoiseries comme avec sa mélancolie envahissante, qui finit par submerger le recueil.

Dans le genre : quel est le mètre employé, à cause des « e » muets et des diérèses, il y a un magnifique poème à la fois discordant et somptueux et ample: c'est dans Sagesse, et c'est un Spleen, même s'il n'en porte pas le titre :         

             Je ne sais pourquoi
                        Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
                        Tout ce qui m’est cher,
                        D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
 
            Mouette à l’essor mélancolique,
            Elle suit la vague, ma pensée,
            À tous les vents du ciel balancée,
            Et biaisant quand la marée oblique,
            Mouette à l’essor mélancolique.
 
                        Ivre de soleil
                        Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
                        La brise d’été
                        Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.
 
            Parfois si tristement elle crie
            Qu’elle alarme au loin le pilote,
            Puis au gré du vent se livre et flotte
            Et plonge, et l’aile toute meurtrie
            Revole, et puis si tristement crie !
 
                        Je ne sais pourquoi
                        Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
                        Tout ce qui m’est cher,
                        D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

Watteau - Les Plaisirs du bal (détail)
Picture Gallery, Dulwich

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