Pierre Michon - Rimbaud le fils (1991)

Rimbaud Le Fils. Objet Littéraire Non Assignable. Entre la biographie très documentée, « la Vulgate » rimbaldienne et, comment dire ? un effort de fusion avec la psyché du poète. Un fils, celui-ci, telle est la thèse d’emblée énoncée : fils d’une mère pleine « d’imprécation et de désastre » et d’un père fantomatique, « dans le purgatoire de garnisons lointaines où il ne fut qu’un nom ». Deux parents qui, l’un après l’autre en lui bondirent et s’abîmèrent, en lui qui « dans le vieux tempo sommaire à douze pieds » mêla « le clairon des garnisons lointaines et les patenôtres de la créature de désastre », les mêla sur « la grande tringle à douze pieds » de ses ancêtres poètes que, très vite, il surpassa et sema, cassant la tringle.

Voilà. On suit ce Rimbaud-le-fils habité par le désastre familial sur ses traces de poète débutant dans le sillage de Virgile, dans l’élection du bon Izambard trop timoré, dans ses fugues vers la Belgique, à Douai chez les tantes « chercheuses de poux » d’Izambard, « trois douces Parques au fond d’un grand jardin ». « … Dans ce  jardin [où] il fit ce poème que tout enfant connaît, où il appelle ses étoiles comme on siffle ses chiens, où il caresse la Grande Ourse et se couche près d’elle ; ». Puis à Paris auprès de « Verlaine en chapeau derby sur le quai de la gare de l’Est », ce « Rimbaud [qui] fut la pierre sur quoi un destin trébuche. Et, plus que tout au monde, Verlaine aimait trébucher. »

J’arrête là. Ce bref texte en sept chapitres, dont les titres à l’ancienne sont les incipit, est une incantation magnifique, écrite dans une prose chatoyante, inventive, mêlant incongruité argotique et puissance lyrique. Une prose d'après Rimbaud. On y vit la rencontre avec Carjat, d’où naîtra « le portrait ovale » qui cristallise le mythe, ou le coup de pistolet de Mons, ou la composition, sanglotante, éperdue, dans un grenier de Roche en Ardennes, de la Saison, « entre le chant céleste et le blasphème », cependant que les moissonneurs trempaient leur pain dans un bol de café ou de vin. Les errances africaines aussi, et la scie des docteurs Nicolas et Pluyette en l’hôpital de Marseille.

Ce n’est peut-être pas vrai, ce qu’il suppose, Pierre Michon, de ce Rimbaud-le-fils possédé par la mère. Ce n’est en somme que la condition d’édition dans cette collection L’Un et l’Autre fondée par Pontalis chez Gallimard, d’investir ainsi un autre que l’on fait soi en quelque sorte, qui parle à travers soi. Mais vrai ou faux, on s’en fout, car ce Rimbaud-là est vivant, vibrant de justesse, d’« exultante certitude » en son incertitude. Je l’ai relu aussitôt que lu, entièrement et par fragments, avec reconnaissance.

Et j’aime aussi ce Rimbaud maladif, adolescent à la gueule de travers, tableau de Jef Rosman, où s’inscrit sur un paravent à la tête du lit le titre, qui est tout un récit : « Épilogue à la française. Portrait du Français Arthur Rimbaud blessé après boire par son intime le poète français Paul Verlaine. Sur nature par Jef Rosman. Chez Mme Pincemaille, marchande de tabac, rue des Bouchers à Bruxelles » (détail, précise la légende, Ancienne collection H. Matarasso).       

PS : Oh oh ! Une mine sur Rimbaud, ici, sur laquelle je tombe en cherchant le tableau de Jef Rosman, qui est au musée de Charleville. Particulièrement alléchant.                        

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