Pour ce que rire...

C’est un grand type dégingandé avec les cheveux en pétard, un petit air d’épouvantail à moineaux bonhomme, un accent belge marqué, une diction parfaite. La voix paisible, il arpente une scène presque vide : seulement, côté jardin, une table, deux chaises, et sur la table, une bouteille d’eau minérale, une serviette de  table blanche, un chapeau un peu écrasé. Devant son public, il va traiter du rire. C’est une master class, annonce-t-il. Rien que de très sérieux, donc. Prenant les choses au commencement, il évoque – et mime, sans jamais appuyer - depuis la cellule originelle, le lent redressement de l’homme jusqu’à la posture verticale et à l’équilibre. La posture verticale avec ses différents foyers, les genoux, le bassin, la poitrine, la tête, et les émotions y correspondantes. Docte et débonnaire, il établit le lien entre verticalité et dignité, laquelle se disloque au moindre déséquilibre, au moindre faux-pas, démonstration à l’appui. Depuis longtemps, le public a cessé de ressembler à un public de conférence. Hilare, béat, suspendu aux lèvres et aux gestes de l’orateur, il éclate de rire, par salves, de plus en plus fréquentes, houleuses, prolongées, cependant que sur la scène, le rythme des gags s’accélère, le corps se désarticule, se dérègle, souligné d’irrésistibles mimiques qui ponctuent l’imperturbable commentaire. En une heure environ, on passe des origines de la vie à une galerie d’Art Moderne où « l’œuvre » à tout le moins déconcertante (et totalement imaginaire) voit défiler devant elle, après l’homme, la poule, la vache, le chien, et même le poisson perplexes. Ajoutez à cela un cours complet sur « l’accident », une chaussure animée d’une vie propre et la collaboration de deux comparses… quand ça s’arrête, on a le visage fendu d’une oreille à l’autre, les yeux pleins de larmes, le nez en mode rhume, et on en redemande.

Il s’appelle Jos Houben, il est belge, il a cinquante-deux ans (et un air juvénile), et il travaille dans le monde entier, de Paris à l’Angleterre en passant par Broadway. Il a été formé à l’Ecole Jacques Lecoq qui, depuis sa fondation en 1956, a donné au théâtre d’éblouissants comédiens et metteurs en scène, qui usent en virtuoses de la mécanique qu’est leur corps, voix comprise, et occupent de même l’espace de la scène, n’importe quelle scène. J’ai pendant de nombreuses années suivi, à Amiens ou dans les parages - y compris dans la cour d’une belle ferme de Beauquesne (Somme), au Festival des Comiques Agricoles – la troupe du Théâtre de la Jacquerie, dirigée par Alain Mollot dans ses créations diverses et magnifiques. Tous étaient issus de l’École. Jos Houben y enseigne, quant à lui, et c’est des cours qu’il a dispensés en « ingénieur du rire » qu’est né ce spectacle excentrique : A comedy about comedy, comme l’annonce la bande vidéo que vous trouverez ici, en anglais.

Ce spectacle est éblouissant d’intelligence, de rythme, de sens du gag. Burlesque au meilleur sens du terme. C’est surtout un spectacle généreux, où le rire se partage, dans la reconnaissance à tous les sens du terme (le cours sur les démarches !...). Un spectacle où l’on retrouve le plaisir du « rire avec », et non pas du « ricanement contre », si florissant par les temps qui courent, et dont on veut nous faire croire qu’il est le fait d’« humoristes ». Un spectacle humaniste, bienveillant, généreux. La comédie comme Art, c’est bien cela.

Photo empruntée au site de l'École Jacques Lecoq.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?trackback/317

Fil des commentaires de ce billet