Mia Couto - Tombe, tombe au fond de l'eau

Anne et Isabelle, mes amies papouphiles, m’ont offert ce joli petit livre, que j’ai avalé d’un trait. De deux traits devrais-je écrire, car la première fois, j’ai interrompu ma lecture. Et me voilà embarrassée. C’est un très beau texte, très poétique, avec cette dimension puissamment orale qui est la marque de nombre d’œuvres  contemporaines, comme une réconciliation de la littérature romanesque avec ses origines, avec les récits, contes épopées, légendes… voués à rassembler une communauté autour d’une parole de partage. Tendance propice au lyrisme, et que pour ma part je goûte particulièrement, comme en témoigne ma note récente sur Jón Kalman Stefánsson.

L’auteur (seigneur, je croyais que c'était une femme, je viens de wikipédier !) est mozambicain. De chapitre en chapitre, au bord de l’Océan Indien qui rythme et accompagne de sa basse continue leurs vies et leurs échanges, il fait dialoguer Zeca Perpetuo, indolent pêcheur retraité, avec sa voisine Luarmina, ex-nonne, devenue couturière à sa sortie du couvent, amie des oiseaux recluse en sa solitude. Or Luarmina a les plus suggestives fesses du monde, et Zeca aimerait bien en parcourir les contours, et plus encore, au lieu de tourbillonner autour d’elle, de s’allumer en sa présence et de se consumer en son absence. Mais bien des non-dits, et plus encore que Zeca ne le pense, séparent Luarmina et son opiniâtre soupirant. De récit en récit, ponctués des aphorismes sagaces du grand-père Celestiano, ils se dévoilent.

C’est une très belle histoire, tissée d’images, de scènes saisissantes et de formules d’antique sapience, dans une prose inventive truffée de néologismes qui sont souvent des mots-valises : Luarmina (…) a été belle à affoler la mâletaille… la grosse Luarmina fluctuait, subjugulée… Les femmes hulurlaient… Le quartier s’unanimait… il y en a nombre d’autres.

Pourtant, j’ai buté, dès la première page, les premières lignes, sur Dona Luarmina la mulâtre. J’ai vérifié : le TLF, comme le CNRTL donnent : « (Personne) dont les parents sont l'un de race blanche, l'autre de race noire et dont la peau présente une coloration assez sombre. Femme mulâtre ou (plus rarement) mulâtresse. » Plus rarement… comme adjectif, peut-être. Mais comme substantif ? Il y a La Mulâtresse Solitude d’André Schwarz-Bart, la mulâtresse Jeanne Duval, maîtresse de Baudelaire, et je n’en ai pas d’autre exemple sous le coude, mais il me semble que le substantif, qui est beau, harmonieux, féminin, et qui rime avec fesses ! est beaucoup plus fréquent que la forme épicène, alors ? S’il n’y avait eu que ce léger problème de lexique, c’était véniel. Mais, et surtout, la traduction n’a cessé d’écorcher mon sens de la langue, sans que je puisse démêler entre la part d’invention dans le portugais d’origine et d’étranges libertés avec la langue française : « nous savions tous que oui, qu’elle demeurait irrémédiable dans les profondeurs » : adjectif à valeur adverbiale, en général on transpose, en français, non ? néologismes étranges ou détournements d’usage : « comme j’aimerais glisser ma main dans ses assaillances » ? « De loin, je me curieusitais » ? « Le temps se cabriolait », bizarreries syntaxiques et lexicales : « à cause de mes insistances amoureuses », « je lui rends visite pour obtenir une inattention dans son existence », je ne vais pas aller à la pêche, ce serait vain, et je ne veux nullement enfoncer ce livre que nous offrent les éditions Chandeigne, vouées à la littérature en langue portugaise. Je suis pourtant allée jusqu’à me demander comment j’aurais traduit le titre original Mar me quer, dont une note liminaire nous apprend qu’il est une variante marine de la comptine Mal me quer, bem me quer, version portugaise de Je t’aime, un peu, beaucoup…  je crois que j’aurais risqué, pour garder la comptine et la référence marine, Amer, un peu, beaucoup… Quoi qu’il en soit, l’aventure a été étrange, entre aspérités qui accrochent, et la fluidité de la prose poétique, le miroitement des images, qui sertissent une belle histoire.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?trackback/313

Fil des commentaires de ce billet