Considérations erratiques autour de 'Best Love Rosie', de Nuala O'Faolain, et de l'autre, en-dessous.
Par Agnès Orosco le jeudi, février 10 2011, 10:10 - Littératures anglophones - Lien permanent
Note de "hasards de lecture", en deux insomnies.
Comme le masochisme a des limites, je me suis offert, après préparation de mon cours de latin, une pause lecture. Mais Houellebecq, non, pas de bon matin alors que la brume s’est levée sur ciel bleu et soleil, et lumière douce de fin d’hiver. Alors, j’ai ouvert Best Love Rosie, emprunté la bibliothèque. Autre joli livre, de ces volumes presque carrés chez Sabine Wespieser, avec belles marges et papier crémeux, imprimés à Abbeville, en outre ! et la juxtaposition des deux lectures m’inspire, au pied levé, une réflexion : il y a des livres qui vont vers vous et d’autres vers lesquels il faut aller, parmi lesquels, il y a ceux vers lesquels il faut se forcer à aller et surtout à poursuivre, suivez mon regard. Best Love Rosie ne se prend pas la tête avec des postures pseudo-réflexives sur la forme romanesque, tant et si bien qu’au début j’ai été un peu gênée par les prénoms qui déboulaient en force sans que je m’y retrouve tout à fait, gêne aussitôt disparue qu’éprouvée. Parce que j’étais déjà emportée par l’histoire, les personnages, leur épaisseur (y compris physique, puisque ce n’est pas le moindre des thèmes de ce roman), leur grâce.
Et je me dis que ce qui m’irrite tellement dans ce snobisme français de l’admiration pour des œuvres médiocres et de préférence trash, cette folie du « concept » qui étouffe toute création sincère et juste (« l’idée, c’est que… »), cette « manie », au sens psychiatrique (et comique) du terme, de la théorie au détriment du sens (et dieu sait si j’ai le goût de la forme !), c’est qu’elle est pur gaspillage de réflexion, mauvais recyclage de vieux toc toxique, stérile et mortifère.
C’est comme Les Bienveillantes. J’ai LU ce « roman », et j’affirme qu’on peut en retrancher au moins 200 pages sans dommage. J’en ai même lu des passages à voix haute, et la litanie des grades qui le ponctuent (avec lexique final, ce qui est tout de même un aveu d’inefficacité) est une source de comique ignorée, sans parler de l’intarissable chronique de gestes qui ponctue l’ensemble et qui ne nous épargne aucun des déshabillages et rhabillages d’Aue les si nombreuses fois où il prend un bain. C’est tout simplement ridicule. L’apostrophe initiale est une offense à l’auteur de cette merveille fulminante qu’est Belle du Seigneur, et je suis fascinée que les torrents de commentaires élogieux qu’il a déclenchés n’aient JAMAIS analysé le titre. Car QUI sont les « Bienveillantes », érinyes devenues euménides, dans ce bouquin ?
Mais baste. Laissons Littel et revenons-en à Houellebecq.
Ben non, je ne vais pas revenir à Houellebecq – où est-il
allé chercher ce pseudo hérissé ? -
parce que naturellement, je n’ai pas retouché à son bouquin, et que ma
dernière insomnie a été vouée à Best Love
Rosie. Où l’on rencontre, outre la vieillissante narratrice et héroïne
(elle a cinquante-six ans), et sa tante « Min » pour Marinda
et non Miranda, veille dame dépressive portée sur la fréquentation des pubs, devenue
sur le tard une vagabonde impénitente, où l’on rencontre donc outre les amis de
Rosie, hommes et femmes, vieillissants ET irlandais pour la plupart, une chatte
acariâtre, une chienne assoiffée de compagnie humaine, une truie rebaptisée
Mother Ireland, des chèvres et l’hypothèse non vérifiée de souris. L’héroïne, qui lit Proust
avec une fervente assiduité, et connaît si bien Joyce que, rendu à son Dublin
originel, il en devient presque familier, se borne pour sa part à la rédaction
d’un petit volume de 1500 mots et dix volées de pensées positives sur les joies
de prendre de l’âge à destination des lecteurs américains, pensées insérées
sous forme de courriels envoyés à son ami de jeunesse Markey, devenu libraire d’ancien
à Seattle. Le volume se métamorphosera sur le tard en torchons. En TORCHONS de
méditation ! pour un peuple qui ne lit pas, conçus dans un pays où les
ordinateurs des bibliothèques publiques servent aux adolescents à se connecter
sur des sites pornos, magie de ces e-learning centers que quelques technocrates sont en train d’imaginer
chez nous aussi en guise de bibliothèques - Seigneur ! pourquoi laisser
prospérer la race songe-stérile des technocrates ? -.
S’il y a beaucoup de
mélancolie dans ce roman, il y a aussi beaucoup de chaleur (et même de bouffées
de chaleur, c’est le premier bouquin où je les vois évoquées avec cette
précision), d’humour, quelques blagues consternantes même : « un type
rentre dans un bar, un plaque de goudron sous le bras : ‘‘Une bière pour
moi, siouplaît, et une autre pour la route’’. » :-(
En vaste contrepoint à l’opuscule modeste que médite Rosie, le roman s’interroge
sur le sens de la vie, aujourd’hui, d’une femme irlandaise qui a fui son île
pour goûter avec passion à travers le monde à la joie, à la beauté, à la
liberté et aux hommes. Et qui, revenue pour veiller sur sa vieille tante, voit
ses choix d’autrefois métamorphosés en renoncements.
Vous aurez sans doute compris que ce livre n’est pas marqué par la haine du genre humain. Quoique sans illusions sur les êtres, l’auteur les regarde avec affection et indulgence. Elle se borne à ‘insérer’ dans sa narration ponctuée de courriels des chansons parmi lesquelles au moins deux tirées de cette absolue merveille de gaité qu’est The Sound of music (vu l’année dernière au Châtelet, le genre de spectacle tellement ébouriffant de joie de vivre et de talent qu’on en parle dans le bus, à PARIS ! avec de parfaits inconnus). Pas très original donc, dans la forme, beaucoup moins qu’un roman intégrant un prospectus sur la Croatie (et pourtant on apprend beaucoup de choses sur l’Irlande catholique !). D’où le lecteur / la lectrice sort avec le sourire, loin de toute auto-dérision complaisante, de toute « la boue faite de nos pleurs », sans le sentiment d’avoir lu un chef d’œuvre. Mais un bon roman oui. Artisanal, honorable, généreux. Thanks.
Il y a des liserons d’ailleurs, dans ce roman, mais je n’ai pas le temps de les rechercher.
Commentaires
J'ai poussé un ah enthousiate devant l'écran en découvrant le nom de Nuala O'Faolain et je comprends qu'on soit infidèle à Houellebecq quand cette grande dame des lettres irlandaises s'invite à notre table de chevet. J'ai appris à la connaître avec ses récits autobiographiques On s'est déjà vu quelque part? et J'y suis presque. Dans le genre Famille je vous hais c'est une pièce maîtresse. Intéressant aussi pour comprendre l'Irlande loin des clichés: apaisantes prairies vertes et ambiance de pub à la Cranberrys.(Groupe de rock que j'aime, du reste!) On est vite dessoûlé! Mais dans cet enfermement du monde bien-pensant, des non-dits, émerge la personnalité d'une femme qui a su se construire une vraie indépendance professionnelle et artistique. Merci aux éditeurs français de l'avoir traduite, merci à toi, Agnès, de chroniquer ses livres. Et si Houellebecq a choisi de vivre en Irlande, il n'est pas l'Unique écrivain!
Je suis totalement d'accord avec toi quand tu parles de ce snobisme hexagonal qui honore des œuvres médiocres (Emmanuel Carrère et toute la clique).
Bon, je n'ai pas lu Carrère alors je ne peux pas dire, mais en avançant dans ma lecture, il me paraît difficile de faire pire que H. En vérité, je trouve que c'est tout simplement "naze".
Bonnes lectures à toi. J'ai calé sur un autre El-Cheikh dont j'ai déjà oublié le titre (pas ceux que tu me citais, je crois).
Je n'ai lu qu' Un roman russe. Ou comment Carrère règle ses comptes avec sa mère, commente sa libido et les soubresauts de sa vie de "couple" avec une fille sympa mais pas de son milieu - elle POSE SES CONGES!!! Quel vilain mot pour l'homme de "lettres" qui vit de sa plume! Ou comment de Russie il n'est question que de façon accessoire ... pour justifier l'écriture du bouquin. Une Russie mal racontée, comme si l'auteur, supposé être là-bas pour faire un reportage- filmait son nombril expatrié.