Mon livre est plus trempé de lumière que ma vie

Je ne suis pas poète. Je suis libertin. Je n’ai aucune méthode de travail. J’ai  un sexe. Je suis par trop sensible… C’est peut-être aussi  pour m’entraîner, pour m’exciter – pour m’exciter à vivre, mieux, tant et plus !

La littérature fait partie de la vie. Ce n’est pas quelque chose « à part ». Je n’écris pas par métier.

Toute vie n’est qu’un poème, un mouvement. Je ne suis qu’un mot, une profondeur, dans le sens le plus sauvage, le plus mystique, le plus vivant.

La Prose du Transsibérien est donc bien un poème, puisque c’est l’œuvre d’un libertin. Mettons que c’est son amour, sa passion, son vice, sa grandeur, son vomissement. C’est une partie de lui-même. Son Ève, la côte qu’il s’est arrachée. Une œuvre mortelle, blessée d’amour, enceinte.

… Voilà ce que je tenais à dire : j’ai de la fièvre. Et c’est pourquoi j’aime la peinture des Delaunay, pleine de soleils, de ruts, de violences. Madame Delaunay a fait un si beau livre de couleurs, que mon livre est plus trempé de lumières que ma vie. Voilà ce qui me rend heureux. Puis encore, que ce livre ait deux mètres de long ! – et encore, que l’édition atteigne la hauteur de la Tour Eiffel !

… Maintenant, il y aura bien quelques grincheux pour dire que le soleil a des fenêtres et que je n’ai jamais fait mon voyage…

Blaise Cendrars, Paris, septembre 1913

(Extrait d’un article paru dans Der Sturm (Septembre 1913), cité par Miriam Cendrars in Blaise Cendrars – 1994)

 

Commentaires

1. Le dimanche, janvier 23 2011, 19:17 par Bookine

Très beau texte. Cela me rappelle une scène de "Tante Julia et le scribouillard", le film adapté du roman autobiographique de Mario Vargas Llosa. Le jeune Mario annonce de façon un peu désinvolte qu'il veut être écrivain et un personnage plus âgé le remet en place: "On ne se lève pas le matin en disant: 'Tiens, aujourd'hui je veux devenir écrivain!'. Ce n'est pas un métier"... Enfin, je cite un peu de tête, ça fait longtemps que je l'ai vu...

2. Le dimanche, janvier 23 2011, 20:21 par Agnes

Mmmm... Je n'ai pas lu La tante Julia, ni vu le film.
Seulement Tours et détours de la vilaine fille, qui après avoir commencé par me séduire, m'a proprement exaspérée.

Les rapports de Cendrars avec l'écriture étaient très ambivalents.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?trackback/287

Fil des commentaires de ce billet