Georges Duhamel - Fables de mon jardin

Convolvulus dit Belle-de-Jour

« Quand je parcourais les campagnes en amateur fervent et, si j’ose dire, irresponsable, quand je regardais la nature sans en avoir charge et souci, j’aimais beaucoup le petit liseron des champs. Je l’aimais pour sa fleurette, je l’aimais pour son nom français qui est gracieux et trompeur, je l’aimais pour son nom latin qui pourtant aurait dû m’avertir car il sent la passion, la torsion, la crise de nerfs.

Depuis que je le vois à l’œuvre, de près, chaque jour de l’année, je déteste le liseron et, qui pis est, je le méprise. C’est un personnage terrible, sans scrupule et sans pitié. Je ne lui fais pas grief d’être d’apparence chétive. Il rampe, mon Dieu ! c’est son droit. Il grimpe et c’est là son courage. Ce que je lui reproche, c’est d’étouffer ceux dont il se sert. Il a d’abord l’air modeste, il demande la charité, l’assistance. « Un tout petit coup de main, mon bon monsieur, s’il vous plaît. » on le laisse faire, on l’admet à table. Alors il s’enhardit, se ramifie, il s’élance, il s’étale, il occupe toute la place. Il sait tourner, il sait feindre, il a toutes les patiences. Quelques jours encore, et il n’y aura plus d’espace, plus d’air, plus de soleil que pour lui. Cependant son bienfaiteur suffoque, râle, agonise.
Et ce travail aérien n’est pas le plus redoutable. L’ambitieux, sous terre, propage d’insidieuses racines dont le moindre fil suffit pour empoisonner tout un jardin, tout un pays.
Tel est le gentil liseron.
J’ai cru longtemps, j’ai longtemps publié que la connaissance est amour. Eh bien ! ma foi, je me trompais. Je connais bien le liseron. »

C’est mon amie Mireille qui m’a adressé en manière de clin d’œil ce texte que je ne connaissais pas. Moi qui ne suis pas jardinière, je le trouve bien sérieux, et trop porté à l’anathème. Comme simple promeneuse, mon goût des liserons ne se borne ni au petit rosé des champs, ni à la belle-de-jour qui étouffe les jardins. Tout ce qui appartient à leur race volubile et vivace est pour mes yeux un plaisir, et puissent les liserons, liseronnes et liseronnet(te)s se montrer aussi âprement indestructibles en nos temps d’i-boucs qui effraient les libraires que la fleurette cosmopolite et obstinée qui sert d’emblème à ce florilège.

Commentaires

1. Le mardi, mars 16 2010, 18:50 par Nathalie

A propos de jardins, connais-tu, Agnès, l'almanach de l'écrivain tchèque Karel CAPEK L'année du jardinier ? Dans ses notes pleines d'humour, d'autodérision et de poésie, il égrène une litanie de noms savants de fleurs et mille et un conseils parfois très empiriques ou carrément fantaisistes pour jardiner comme un pro. Je ne résiste pas à te donner de la graine ...
"Si l'homme jardinier s'était développé, depuis le début du monde, par sélection naturelle, il se serait évidemment transformé en invertébré. Pourquoi diable a-t-il des reins? Il semble que ce soit uniquement pour que, de temps en temps, il se redresse en disant: j'ai mal aux reins."

2. Le mardi, mars 16 2010, 19:57 par Agnès

ça, c'est charmant. ^_^ Merci !
Et il n'a rien écrit sur les liserons, ce monsieur Capek ?
Si oui, je suis preneuse.
Amitiés.

3. Le mardi, mars 16 2010, 21:14 par Nathalie

Je suis contente de te faire découvrir cet auteur (publié en 10/18) . Je ne sais plus s'il a écrit sur les liserons mais je te propose une note sur les "fleurs de glace". Un de mes passages préférés.

"Pour ce qui est de la flore de janvier, ce qu'on en connaît le mieux ce sont les prétendues "fleurs de glace". Pour les obtenir, il faut avoir dans l'appartement au moins un peu de vapeur d'eau; si l'air est parfaitement sec, vous n'aurez pas sur vos fenêtres la moindre aiguille, à plus forte raison la moindre fleur. De plus, il faut que votre fenêtre soit mal orientée: c'est du côté où le vent souffle que poussent les fleurs de glace. C'est pourquoi elles croissent plutôt chez les pauvres que chez les riches. Parce que chez les riches, les fenêtres sont mieux orientées.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet