Ian McEwan - Sur La Plage de Chesil

Edward Mayhew, Florence Ponting. Face à face de part et d’autre de la table où leur est servie leur dîner de noces, dans une chambre d’auberge du Dorset, au bord de  la plage de Chesil où depuis le fond des âges, les tempêtes distribuent les galets par ordre de taille, de l’ouest à l’est. Gênés par la présence des garçons d’auberge, par l’anxiété, débordants de tendresse et l’appétit coupé. C’est le début de l’été 1962.
 

 

Lui est un jeune et savant historien du Moyen-Âge, il rêve de monographies sur les grands hommes qui ont infléchi le cours de l’Histoire, ou sur les sectes millénaristes. Elle, une musicienne inspirée, premier violon d’un tout jeune quatuor à cordes dont elle est l’âme. Il est le fils d’un instituteur de campagne et d’une mère à la raison égarée, un gars de la campagne qui connaît le nom des fleurs, des arbres et des oiseaux. Elle a pour père un industriel prospère, sa mère est une prof de philo brillante et sèche. Ils sont allés l’un vers l’autre avec émerveillement et une puissante tendresse. Mais tous deux sont vierges

Ils étaient jeunes, instruits, et tous deux vierges en cette nuit de noces, et ils vivaient en un temps où toute conversation sur les difficultés sexuelles était évidemment impossible. Mais ce n’est jamais facile.

- c’est la première phrase – et toute la tension du roman, unité de lieu, unité de temps, unité d’action, naît des angoisses secrètes qui les habitent et les meuvent en ce moment décisif.

Le narrateur, omniscient sans abuser, surgit çà et là pour manifester sa compassion au détour d’une phrase. La langue de McEwan est belle et suggestive, sa phrase, sinueuse, son lexique riche. La construction de ses romans, impeccable, virtuose, et pourtant discrète. Ses personnages sont denses et attachants, à travers lesquels surgit l’Histoire dans sa complexité, son épaisseur sociale et psychologique. J’admire et je savoure la façon dont il sait tisser étroitement le détail le plus ténu, le plus trivial, le plus comique, avec un drame intime, intense, complexe, un contexte historique richement campé et documenté, et le chant du monde. Romancier au sommet de son art, riche de toute l’histoire du roman moderne dont vibrent son talent et son écriture, jamais McEwan ne le souligne, jamais il ne se regarde écrire. J’en éprouve quant à moi une vive gratitude. Sur La Plage de Chesil raconte, en trois stations qui résonnent de toute la profondeur des récits rétrospectifs qu’elles suscitent, - à table, sur le lit, sur la plage – le tournant de deux destins. Sans pathos ni fioritures, dans la tension, le non-dit et la justesse. C’est, sous-tendu par le sac et le ressac de la Manche, sur fond d’après-guerre et d’avant sixties, un dérisoire et bouleversant nocturne.

Je remets ici le lien avec le site de McEwan, où l'on apprend parmi une riche documentation, que l'auteur s'est découvert en 2002 un frère aîné inconnu, "donné" et abandonné en 1942 par ses parents alors amants et adultères, frère qu'il a rencontré et avec lequel il a noué des liens. Lui, l'auteur de L'Enfant volé, et d'Expiation.

http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/2008/jul/12/familyandrelationships.elementsoffiction

Commentaires

1. Le mardi, septembre 2 2008, 15:33 par delineau

très belle découverte que ce blog qui ''parle'' de manière incisive et agréable

2. Le lundi, novembre 24 2008, 18:18 par bergamote

pour changer, je fais une suggestion dans la catégorie littérature anglophone, de Mary Wesley, "la pelouse camomille", c'est un roman écrit par une vieille dame indigne qui parle entre autres de la façon bien personnelle dont elle a vécu le Blitz, les caractères sont très bien campés et le ton est terriblement anglais. On imagine la vieille dame écrivant le soir en buvant ses petits verres de sherry...
Merci pour ce blog, je me régale des analyses, j'ai adoré " sur la plage de Chésil"...

3. Le lundi, novembre 24 2008, 18:42 par Agnès
Merci beaucoup ! Comme tu le vois, j'ai profité de la suggestion "Main du diable". Pour la suite, et sauf bronchite, mais je n'y tiens vraiment pas, je vais attendre Noël... (elle m'attend déjà chez le libraire)

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