Le prince des causeurs
Par Agnès Orosco le mercredi, août 22 2007, 07:47 - Littératures française et francophones - Lien permanent
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Dévéria puis Nadar : Dumas
dandy, Dumas dodu
Je ne sais pas si les éventuels promeneurs de ce blog auront eu la curiosité de cliquer sur le lien déposé plus bas, à propos de Vallès, avec les œuvres d’Alexandre Dumas père, et en particulier, avec Mes Mémoires. Moi, je l’ai fait, pour le seul plaisir de relire le récit pétillant de son initiation aux mœurs des théâtres à son arrivée à Paris. Ce qui m’amène donc, pour battre le fer, à vous parler des Mémoires de Dumas. Énorme ouvrage, republié chez Bouquins (1989). Somme sur la fin du XVIIIe, et sur les débuts du XIXe, car Dumas remonte sa généalogie et évoque avant la sienne propre la figure de son père, le Général Alexandre Dumas, athlète et homme de guerre à la vie hautement romanesque, fils bâtard d’un petit marquis déclassé et d’une esclave haïtienne, général révolutionnaire puis napoléonien, brouillé avec le grand homme pendant l’expédition d’Égypte, empoisonné dans les geôles de Naples, amant de Pauline Bonaparte, mort des suites de son empoisonnement chez lui à Villers-Cotterêts où il avait épousé une bourgeoise du cru.
C’est l’une des caractéristiques majeures de cet ouvrage océanique et protéiforme : on y trouve, outre la vie de Dumas père himself, largement revue et corrigée sur le mode héroï-comico-romanesque, celle des personnages qui croisent sa vie, ou dont il éprouve le besoin de parler : ainsi de Byron, qui a cet honneur comme héros de « Mes lectures », ou d’Eugène Sue, ou encore de Victor Hugo, dont l’enfance est racontée avec saveur (l’épisode du régiment – 3000 hommes ! - passé en revue sur la route de Madrid par la Reine d’Espagne alors que les hommes en pleine toilette étaient parfaitement nus et que Madame Hugo avait été invitée à « tirer les stores » de sa voiture, est un monument de bouffonnerie).
Nous devons aussi à Dumas le récit célèbre et savoureux – défiguré à tout jamais par l’exécrable Arielle Dombasle – des répétitions d’Hernani et des joutes verbales entre Hugo et Mademoiselle Mars, dialogue allègre et spirituel, personnages campés en quelques traits, petite scène de comédie sur le vif… et le récit épique de sa « prise de la poudrière de Soissons » pendant les Trois Glorieuses, , et ses relations avec Marie Dorval, et sa lecture de La Reine Christine au Baron Taylor frigorifié dans sa baignoire !...
Tant et tant d’anecdotes qu’il convient parfois de confronter au récit d’un biographe sérieux (Claude Schopp, sur Dumas, est parfait) car ce conteur de génie est aussi vaniteux et menteur, mais si généreux, si vivant, si savoureux… qu’il est bien le seul auteur auquel je pardonne une syntaxe somme toute assez sommaire, où domine la parataxe.
Dumas par Cham
On ne lit pas Mes Mémoires d’une traite. On s’y promène, on en saute de grands passages quand notre auteur tire trop ostensiblement à la ligne -l’épisode du Maire d’Eu :-( ... ! - mais il n’est pas de découverte plus plaisante du XIXe. J’ai un jour conté – en trois épisodes au lieu de l’unique initialement prévu – l’enfance de Dumas dans deux classes de 5ème d’une amie : l’apprentissage douloureux du latin, le braconnage, la marette et la pipée. Urbains jusqu’au bout des ongles, banlieusards de « cités » pour certains, les élèves étaient suspendus au récit.
Auteur brouillon et bouillonnant, quarteron qui employait des nègres,
Dumas est encore méprisé, décrié, ignoré. Lui, l’observateur attentif
de son siècle et du monde, l’humoriste ou plutôt le blagueur, le
découvreur de formes, l’ami fidèle, le chasseur passionné, le
mémorialiste inspiré, le cuisinier qui savait si bien marier recettes et
récits ! Allez-y voir ! si vous n’êtes pas trop pincé(e), vous ne devriez pas bouder votre plaisir.
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