Rue des maléfices, chronique secrète d'une ville, de Jacques Yonnet, chez Phébus, Libretto.
Par Agnès Orosco le jeudi, mai 31 2007, 22:09 - Littératures française et francophones - Lien permanent
Précédemment publié en 1954 sous le titre "Les enchantements de Paris". Je n'avais jamais entendu parler de l'auteur, pourtant ami de Queneau, Prévert, Audiberti ou Desnos, et homme d'un seul livre - nous apprend la préface de JPS, encore, - car "bavard inspiré" des "bistres" des quartiers de "la Mouffe" ou de "la Maubert au sourire secret" et peu porté à l'effort qu'exige la composition d'un livre. Ses poèmes et pièces pour marionnettes ont disparu des boîtes des bouquinistes. Marginal définitif donc, de la société comme de la littérature.
Composé pendant la guerre, alors que l'auteur était membre d'un réseau de Résistance dans Paris, le livre est une promenade dans le temps et le périmètre défini par les quartiers susdits et les alentours de la Bièvre. Un objet littéraire non identifié, unique représentant de ce que j'appellerai le "réalisme magique". La langue est savoureuse, à la fois souple et élégante, mêlant archaïsmes et argot, une langue de conteur, à la fois orale et très écrite, jamais artificielle. Une langue qui enchante. Quant aux personnages, ils grouillent. Clochards, bohémiens, ivrognes, prostituées, tous auréolés d'histoires, d'Histoire aussi, car l'air de rien, ils promènent une science du passé qui pour être ésotérique n'en croise pas moins les récits très anciens que l'auteur lui-même a collationnés au fil des grimoires et des bibliothèques. Tissu, tissage d'anecdotes, d'autrefois et d'aujourd'hui : Cyril , l'horloger au temps arrêté, Danse-Toujours, le "dur des durs", le voyou "inséparable de Paris" et lecteur de Villon, son frère en amour de Paname, les cabarets aux enseignes de bois d'épave, Paris des maléfices et des enchantements, des maisons ou des ponts maudits, et les surgissements silencieux du Vieux d'après-Minuit (qui, sur la photo, de Doisneau?, ressemble tellement à Moustaki!), et le dormeur du Pont-au-Double, qui guérit dans son sommeil…. Paris de la guerre aussi, avec ses mouchards et ses Chleuhs, ses agents de liaison et ses radios clandestines… Paris du "mystère et boule de gomme", des morts inexplicables et des catastrophes récurrentes, univers parallèle fascinant, inquiétant… et drôle.
Il y a des dessins de l'auteur, des photos de Doisneau.
J'ai adoré ce livre, que je n'ai pas fini de relire.
11 janvier 2009 : En musant à la recherche de Caradec, trouvé ceci sur le site "L'Alamblog" : http://www.lekti-ecriture.com/blogs/alamblog/index.php/post/2008/08/26/Jacques-Yonnet-un-autre-portrait