''Le Liseur'', de Bernhardt Schlink (Folio)

J'ai relu, avec la même émotion et la même admiration qu’il y a dix ans, Le Liseur, de Bernhardt Schlink. J’espère qu’il y en a parmi vous qui ne l’auront pas lu, pour pouvoir découvrir cette histoire prenante, cette sombre réflexion sur l’amour, l’érotisme, le droit, et les liens qu’entretient le peuple allemand avec la dernière guerre. Je rassure ceux qui pousseraient un soupir à voir mentionner ce dernier thème : aucune complaisance dans l’horreur, ni dans le ressassement. Rien sur la banalité du mal – sinon la mention d’Hannah Arendt au détour d’une bibliographie et le fait que « l’héroïne », si c’est le terme propre, s’appelle Hannah, justement -.

Le narrateur revient, adulte, sur la liaison qui a marqué à tout jamais sa vie. À quinze ans, il a rencontré Hannah, une femme saine et solide, receveuse de tramway, de vingt ans plus âgée que lui, qui lui a porté secours alors qu’atteint d’une jaunisse, il vomissait dans la rue. Devenu son amant, il a appris d’elle l’érotisme, l’indépendance, le goût des études, et le plaisir de la lecture à voix haute, qu’elle lui réclame insatiablement. Elle apporte dans sa vie la saveur, les odeurs, un ancrage robuste et naturel, mais aussi une inquiétude constante due à ses étranges sautes d’humeur, à ses accès de silence buté, à certains refus inexplicables. La jeunesse de Michaël et l’autorité qu’Hannah exerce sur lui ancrent le jeune homme dans un sentiment de culpabilité et d’incompréhension qui culmine au moment où Hannah disparaît, sans un mot, le laissant en quelque sorte étranger au monde et à autrui.
Devenu juriste, marié, puis divorcé à cause de cette étrange impossibilité à vivre sa propre vie autrement qu’en spectateur, il retrouve Hannah – son dos, si familier – au cours d’un procès dont il doit rendre compte. Elle est l’accusée la plus en vue d’un procès de femmes-kapo, qui, au cours de leur fuite du camp, ont laissé brûler les prisonnières enfermées dans une église. Dignité et incertitude, l’attitude d’Hannah irrite autant le tribunal que ses co-accusées, mais finit par offrir à Michaël la clé de toutes ses apparentes incohérences, le liant plus encore à cette femme à laquelle il n’a pourtant plus adressé la parole.

C’est ce que j’ai lu de plus fort sur l’Allemagne en proie aux séquelles de son histoire. On en sort saisi, troublé, sans la moindre possibilité de prendre une position manichéenne. Le personnage d’Hannah, impérieuse, lointaine et douce, est bouleversant, alors même qu’il n’est pas sympathique. Et il continue à hanter le lecteur, comme le héros du roman, que son histoire avec elle a mis pour toujours en porte-à-faux avec la vie, à la fois lucide et incertain, incapable à tout jamais de « juger », lui qui est juriste.

Rien à voir avec les facilités gore de certain pavé dont il fut abondamment question il y a peu. Les personnages de Schlink ont, dans leur apparente indifférence, une épaisseur humaine intense, dont son écriture blanche et juste saisit, à travers d’infimes détails, les failles et les forces avec une grande subtilité.

Lisez Le Liseur….

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet